Introduction

Historique du sucrage

Justification du sucrage

Principes à suivre pour pratiquer le sucrage

PIÈCES RELATIVES AU SUCRAGE. PIECE A. Expériences et opinion de Macquer sur le Sucrage

PIÈCES B. – Opinions émises au Congrès des vignerons de Dijon sur le sucrage des vins.

SUCRAGE
DES VENDANGES
AVEC LES SUCRES RAFFINÉS
DE CANNE, DE BETTERAVE, ETC.
ou
VUES SUR CETTE MÉTHODE INDUSTRIELLE DE VINIFICATION
CONSIDÉRÉE COMME MOYEN DE RÉGULARISER LA QUALITÉ
DES VINS AU NIVEAU DES GRANDES ANNÉES ET
D'EN AUGMENTER AU BESOIN LA QUANTITÉ
DANS LES ANNÉES DE RÉCOLTES
MAUVAISES OU INSUFFISANTES
Par M. Dubrunfaut

Les créations de l'homme sont encore l'œuvre de Dieu.
MALEBRANCHE (Recherche de la vérité).
L'expérience double les richesses en les partageant.
NAU DE CHAMPLOUIS (Congrès des vignerons).
PARIS
CHEZ Mme BOUCHARD-HUZARD RUE DE L'EPERON, 5
1854

INTRODUCTION,
Le fléau qui ravage la vigne depuis quelques années compromet cette source précieuse de nos richesses et menace de privation l'un de nos premiers besoins. Le vin, en effet, après avoir subi une hausse considérable par suite de la disette des vignes, ne laisse pas l'espoir d'une amélioration prochaine.
En présence de ces faits l'industrie en est à songer sérieusement aux moyens de remplacer le vin dans l'alimentation des populations.
Déjà, après avoir demandé à la betterave un utile auxiliaire de l'alcool de vin, on a été conduit naturellement à rechercher si cette précieuse racine ne pourrait pas aussi fournir un surrogat du vin lui-même, en tant que boisson vineuse à consommer en nature.
Si l'on n'envisage le vin que comme une boisson à base d'alcool, nul doute que l'industrie, qui a trouvé dans la betterave une source alcoolique qui peut rivaliser avec celle du Languedoc, n'y puisse trouver aussi les éléments d'une boisson vineuse.
Cependant il ne faut pas se faire illusion sur ce point, nonobstant les annonces qui ont été faites. On pourra,

en effet, avec des soins convenables et bien dirigés, arriver à produire avec des betteraves une boisson alcoolique saine et réparatrice; mais il serait difficile, pour ne pas dire impossible, de produire par ce moyen de véritables vins, imitant même de loin les inimitables produits de la vigne.
La vigne seule renferme dans des proportions convenables les divers éléments qui constituent le vin proprement dit. La betterave ne renferme que l'un de ces éléments, le sucre, et les vins auxquels elle servirait de base ne pourraient arriver à constituer de véritables vins que par une double opération, qui consisterait à éliminer des jus de betteraves les produits étrangers, et à y apporter les produits qui manquent.
On ne pourrait donc demander à la betterave qu'une boisson vineuse, spéciale et nouvelle, analogue au cidre, au poiré, à la bierre, mais non un véritable vin susceptible de tromper la vigilance du consommateur.
Si le vin venait à faire défaut, il est probable qu'à l'exemple des populations du nord de l'Europe, notre consommation de boisson alcoolique se reporterait de préférence sur la bierre, car cette boisson, qui est plus ou moins répandue, même parmi les populations vinicoles, offrirait une innovation moins radicale et plus facile à réaliser par cela même qu'elle blesserait moins les habitudes el les goûts.
Espérons encore que nous n'en viendrons pas à cette extrémité, et que la vigne, triomphant du fléau et des météores qui détruisent ses récoltes, nous rendra une boisson précieuse qui n'a pas de rivale dans les produits de notre agriculture et de notre industrie.
Momentanément nous avons pensé que pour réparer en partie le déficit des récoltes des vignes on pourrait,

par une pratique simple, et sans altérer sensiblement les propriétés et la qualité des vins, en augmenter la quantité : nous voulons parler de la méthode de sucrage appliquée non seulement comme méthode réparatrice de maturité incomplète, mais comme moyen d'accroître utilement en quantité le volume des vendanges. Avant d'attaquer cette question, nous aurons à examiner le sucrage dans son histoire et dans ses pratiques.
Le moment où nous faisons cette publication (30 août 1854) est fort rapproché de l'époque des vendanges, et il permettrait difficilement par là même aux intérêts engagés dans la question de faire, en temps utile, auprès des ministres compétents, les démarches nécessaires pour obtenir le dégrèvement des sucres employés dans les vendanges.
Dans cette position nous avons pris sur nous de faire celte démarche, d'abord auprès du ministre de l'agriculture et du commerce, puis auprès du ministre des finances. Nous donnons ci-après le texte de la pétition que nous avons rédigée à cet effet. Il serait utile qu'une pareille pétition fût adressée par tous les intérêts engagés dans la question, savoir : 1° par les vignerons; 2° par les fabricants de sucre indigène ; 3° par les colons ; 4° par les commerçants des ports de mer; 5° par les raffineurs de sucre.
Une objection a déjà été faite à cette demande, c'est que le personnel administratif, tel qu'il existe, ne suffirait

pas pour faire face aux exigences du nouveau service, et que son accroissement mettrait à la charge du budget une dépense nouvelle sans compensation. A cette objection nous répondrons que, si l'administration ne peut prendre sur elle les charges d'un nouveau service en vue d'intérêt public, sans y trouver une compensation quelconque, elle pourrait n'accorder pour le sucre introduit dans les vendanges qu'un dégrèvement partiel ; elle satisferait ainsi à l'une des demandes formulées dans notre pétition.
Pétition adressée à MM. les Ministres du commerce et des finances, par M. Dubrunfaut, à l'effet d'obtenir le dégrèvement des sucres raffinés introduits dans les vendanges.
Le Soussigné, confiant dans les résultats d'expériences acquises dès long-temps à la discussion, croit pouvoir recommander l'emploi exclusif du sucre raffiné de canne et de betterave comme moyen de régulariser la qualité des vins de tous les crus au niveau des grandes années ; confiant, en outre, dans des données scientifiques et industrielles qui lui sont propres, il ne doute pas que le même sucrage pratiqué convenablement, avec addition d'eau dans les vendanges, ne puisse accroître utilement le volume dés vins sans nuire à leurs qualités essentielles.
Cette dernière pratique, applicable surtout aux vins ordinaires et communs, serait précieuse dans les années de mauvaise récolte, comme celle que nous préparent en ce moment l'oïdium et la coulure.
Pour pratiquer ce sucrage dans les conditions les plus
favorables, et pour arriver plus sûrement à le généraliser dans les vignobles, il serait utile que l'administration accordât la franchise du sucre raffiné introduit dans les vendanges. Cette nouvelle consommation, qui peut atteindre de vastes proportions, fournirait plus tard, quand elle aurait pénétré dans l'industrie vinicole, la base d'une nouvelle matière imposable qui serait la source d'un nouveau revenu pour le trésor.
Fort de ces considérations, le Soussigné réclame l'affranchissement immédiat, ou au moins un dégrèvement large du sucre raffiné employé dans les vignobles, pour que les travaux du sucrage puissent se pratiquer en grand dans les vendanges qui vont s'ouvrir incessamment.
Nulle objection sérieuse ne peut être faite à cette proposition, et nul intérêt ne peut avoir à souffrir de sa mise en pratique.
En effet, un nouvel et immense débouché ouvert au sucre dans les vignobles ne peut qu'être utile aux intérêts des producteurs du Nord, des colonies et des raffineurs.
Les vignerons y trouveraient un élément d'amélioration de qualité et de quantité de leurs produits, et par là même un nouvel élément de prospérité.
Les consommateurs ne pourraient souffrir de la création d'un nouveau débouché du sucre, dont le prix est réglé par celui des sucres étrangers; leur intérêt ne pourrait également que gagner à l'adoption d'une méthode qui, en réparant les désastres des météores et d'un fléau, doit régulariser la qualité des vins, en augmenter la quantité et réagir par là même sur les prix, qui tendent à s'élever au dessus des facultés du plus grand nombre.

Le trésor lui-même n'aurait qu'à gagner en accordant la franchise temporaire, car l'accroissement du volume du vin serait une source supplémentaire de revenus, et si les sucres indigènes et coloniaux étaient insuffisants pour les besoins, le sucre étranger, en comblant le déficit, accroîtrait les recettes du trésor proportionnellement à la surtaxe.
Agréez, Monsieur le Ministre, etc.
DUBRUNFAUT.
Bercy, le 30 août 1854.

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