Introduction

Historique du sucrage

Justification du sucrage

Principes à suivre pour pratiquer le sucrage

PIÈCES RELATIVES AU SUCRAGE. PIECE A. Expériences et opinion de Macquer sur le Sucrage

PIÈCES B. – Opinions émises au Congrès des vignerons de Dijon sur le sucrage des vins.

PIÈCES B. – Opinions émises au Congrès des vignerons de Dijon
sur le sucrage des vins.

« Nous nous proposions d’abord de ne donner que des analyses de ces intéressantes discussions; mais, comme on aurait pu nous accuser d'affaiblir les arguments des uns ou de mettre trop en relief les arguments des autres pour les besoins de notre cause, nous avons préféré publier dans leur entier les discussions du Congrès, telles qu'elles se trouvent consignées dans la publication officielle de ce corps savant. Il est bien entendu qu'en faisant cette publication nous n'acceptons pas la responsabilité des faits scientifiques ou industriels qu'elle renferme, cette responsabilité appartenant aux auteurs qui les ont énoncés»

DUBRUNFAUT.


Opinion de M. Isidore Roze, secrétaire du Comice de Tonnerre.

A défaut de MM. Jolivot, Siraudin, Berthier de Viviers et Quignard, membres distingués de notre Société d'agriculture et d’industrie, et délégués par elle près de vous, mais empêchés par des raisons d’affaire ou de santé, je viens me réunir à M. Lécourt de Béru, et vous offrir le faible tribut de quelques observations sur les causes et les conséquences de l'introduction du sucre et de l'alcool dans les vins, et sur notre vinification particulière.
Pour ma part, je remercie nos collègues MM. Mollerat, Varembey, Delamotte, Delarue et Bonnet, de leurs dissertations lumineuses sur l'action des substances introduites dans le moût, leurs résultats aux différents âges du vin, et leurs effets digestifs ou hygiéniques.
Ennemi des mélanges et de tout ce qui peut altérer la pureté des meilleurs fruits de la vigne, je ne prends pas cependant dans un sens absolu votre condamnation du sucrage, voire même de l'alcoolisation, et je pense que vous permettez d'améliorer un produit inférieur, de suppléer à ce que la nature n'a pas fait, à ce qu'elle a été empêchée de faire par des intempéries.
L'excellence de l'art ne consiste-t-il pas dans l'imitation de cette nature en ce qu’elle a de bon ?
Or, dans une année où la maturité est incomplète, le raisin attaqué de pourri, de moisi, la vendange mouillée, quand la fermentation, que vous voulez prompte et décisive, est paresseuse, inerte, menace de devenir acescente, putride, vous ne défendrez pas à l'art, à la science, de venir à son secours, de l’aider, de l'activer, d'enlever au moût ce qui peut lui nuire, de lui donner ce qui lui manque, ou au moins partie de ce qui lui manque : car leur puissance ne va pas à faire aussi bien que la nature ; ce serait arriver à la perfection de son auteur.
Un habile œnologue du Tonnerrois, feu M. Léorrier, l'un des fondateurs les plus éclairés de notre Société, a suivi plusieurs années, en les observant et notant attentivement, les particularités de la vendange et de la fermentation à l'air libre et à cuve close simultanément ( il a préféré le dernier procédé, dès long-temps usité par nos pères, et continué parmi nous).
Il a expérimenté avec succès, sur des récoltes inférieures ou faites dans des conditions défavorables, le plâtre, la chaux, le noir animal, le sucre, comme absorbants des parties aqueuses, putrescentes, hétérogènes, ou comme fortifiants de la liqueur:
Ces pratiques, quoique imitées, présentent néanmoins peu d’intérêt chez nous ; mais dans d'autres vignobles elles peuvent en avoir davantage.
Ce qu'on trouve de mieux à faire dans le Tonnerrois, où dominent surtout les pineaux noirs et blancs (comme on le voit au tableau synoptique du vignoble dressé par le Congrès, établi sur la statistique de M. Despréaux, c'est de donner beaucoup de soins à la vendange, de mettre de côté pour les piquettes tout raisin vert, pourri ou altéré par une cause quelconque ; de choisir le fruit le plus sain, de l’égrapper au tiers, à moitié ou au trois quarts, selon le plus ou le moins de maturité, de le triturer par le foulage, de le couvrir, en activant la fermentation, dans les années froides, par du moût chaud, parfois sucré ; puis, quand la liqueur disparaît, quand le chapeau descend et le moût se refroidit, de tirer et pressurer.
La plupart, et surtout vignerons et tonneliers, égrappent peu, foulent et refoulent jusqu'à complet refroidissement, tirent ferme, à la recommandation du commissionnaire et sous l'empire du préjugé, que, fait ainsi, le vin se conserve mieux. Cette dureté, plus sensible dans les crus où règne le lombard ou gros plant, très estimable d'ailleurs, appelé le médecin des cuves, et qui affecte les qualités du Bordeaux, est heureusement adoucie par le mélange du Beaunois. Tirés plus tendres, ces produits mélangés font les ordinaires les plus agréables. Tirés de même, encore chauds et en liqueur, les vins fins sont plus moelleux, plus légers, plus délicats, et ne se gardent que mieux. Telles sont les qualités de nos vins gris, faits sans pressurage, après 24 heures de cuve.
En bonne année, arrière le sucrage, auxiliaire admissible et peut-être nécessaire en d'autres vignobles, mais employé seulement comme remède dans le nôtre pour les cas désespérés, afin de rendre potable et marchand ce qui, sans cela, ne l'aurait pas été.
Ne craignons pas que de telles additions, faites avec discernement et prudence, nuisent à notre réputation, qui s'établit seulement sur les grandes années, où les vins se classent et prennent chacun le rang qui leur appartient. Alors c'est folie de vouloir améliorer la perfection.
On l'a tenté cependant ; on a augmenté la vinosité, la couleur et le corps, aux dépens de la finesse, de la limpidité et du bouquet ; la fraude s'est efforcée, par des moyens factices, d'élever des crus inférieurs à la hauteur des premiers crus, qui précisément s'abaissèrent à leur niveau par les mêmes moyens. L'antique renom de la Bourgogne en a été sensiblement affecté. C’est aussi le mal de la Champagne, par l'emploi de vins faibles mis en mousseux à l'aide du sucre et de l’eau-de-vie.
La Commission de Beaune, dont nous entretiendra l’honorable M. Poulet, composée des premiers négociants et propriétaires de cette ville, a fait acte de sagesse et de patriotisme en proscrivant ces procédés. Puisse-t-elle prévenir le retour du mal, et borner la chimie à la bonne conduite, à la conservation de nos vins, à l'expression naïve de leurs qualités !
D'où vient cette épidémie qui a terni les plus beaux fleurons de nôtre couronne ? Du commerce ? II n'est que l'Intermédiaire souvent aveugle du producteur trop docile et du consommateur plus grossier, ou des exigences de bon marché, de la vanité qui veut du velours, fût-il de coton au lieu de soie, qui veut du chambertin la vigueur, la couleur et l'étiquette. [Note de Dubrunfaut : C’est un partisan du sucrage qui s’exprime ainsi : on voit donc que les griefs de M. Roze s’appliquent uniquement à l’abus du procédé.]


Opinion de M. Mollerat.

Demeurant à Paris en 1797, dit le savant chimiste, j'eus l'occasion de m'occuper de vins, et surtout de la fermentation en général ; sans être chimiste, j'étais, par mes relations de société, en contact avec tous les savants de cette époque.
La question des vins, celle de la fermentation, étaient souvent agitées ; j'appris qu'on pouvait, dans les mauvaises années, suppléer à la pauvreté du moût par du sucre.
Je fis part de ce système à mes frères, propriétaires de quelques grands crus à Nuits. On écouta mes conseils, et l'on s'en trouva bien tant que l'on voulut se maintenir dans de justes proportions. De proche en proche on nous imita ; mais un peu plus tard le prix excessif du sucre en fit restreindre l'usage. Je crus pouvoir le remplacer en ajoutant de l'alcool dans les vins; mais les mauvais résultats obtenus m'en firent abandonner l'usage.
En effet, l'alcool, mis dans le tonneau, précipite le ferment dissous par les acides végétaux contenus dans le vin ; mis dans la cuve, il arrête la fermentation par le même motif. Puis on remarqua que ces vins ainsi additionnés se décoloraient promptement, vieillissaient plus vite que ceux qui n'avaient point reçu d’alcool.
J'avais alors acquis les connaissances chimiques nécessaires pour pouvoir créer la manufacture de Pouilly ; j'avais fini mes recherches sur l'acide acétique: cette étude m'avait conduit naturellement à examiner complètement la fermentation alcoolique. Forcé d'abandonner le sucre de canne et l'alcool pour enrichir les moûts trop pauvres, je crus devoir rechercher si la nature ne pouvait pas produire un sucre identique à celui de raisin,
J'avais eu occasion de connaître certain produit de la pomme de terre et le sucre que donnait sa fécule. En 1819, j'examinai ce produit avec cette pensée : faire le sucre de pomme de terre avec toutes les conditions nécessaires et favorables pour le rendre identique au sucre de raisin.
Tous les auteurs avaient avancé que 100 parties de fécule donnaient 104 à 110 parties de sucre. Examinant la constitution chimique des sucres de raisin et de canne, je pensai que la chose était impossible. En effet, la pratique ne me donnait que 84 pour 100, quantité répondant exactement à la composition élémentaire de la fécule ; et pour obtenir ce résultat, il faut encore remplir toutes les conditions d'une bonne fabrication : car, pour réussir complètement, il est des soins indispensables à prendre; et je dois dire que jusqu'à ce jour ce produit n'a été bien fait, comme opération commerciale, qu'à Pouilly. Je le répète, le sucre de fécule parfait est identique à celui de raisin; il coûte beaucoup moins à produire, et donne la même quantité d'alcool. Une fois l'identité des sucres constatée, il fallait les soumettre à l'action du même ferment, et s'assurer si les produits fermentés étaient eux-mêmes identiques.
Le ferment ou levure de bierre était le seul que je pouvais employer ; mais cet agent contient un principe amer et un principe aromatique qui, dans l'état où il est livré par les brasseurs, doit le faire rejeter de toute fermentation vineuse. Pour le rendre propre à cet usage, on doit le soumettre à un traitement qui en élève considérablement le prix. Ce procédé consiste à laver ce ferment à l'eau, puis à l'alcool, jusqu'à ce que ces deux agents ne lui enlèvent plus rien ; il faut alors le dessécher complètement, le mêler soit avec du sucre, soit avec du sable siliceux lavé à l'acide chlorhydrique. Dans cet état, le ferment est solide, imputrescible, et réunit toutes les conditions pour produire une fermentation alcoolique complète, sans donner de saveur désagréable. C'est dans cet état que je l'ai employé pour obtenir la fermentation du sucre de raisin et de celui de fécule.
Les produits obtenus ont été identiques sous tous les rapports ; ils ont donné un vin semblable à celui de Xérès ; et si on ajoute à la fermentation quelques raisins secs muscats ou de Malaga, on obtient des vins analogues à ces deux espèces. La fermentation arrêtée, la relation existe entre ces deux vins. Dans le vin de Xérès, il n'y a plus de fermentation possible, parce que l'alcool fourni par la quantité de sucre qui a subi la transformation a été suffisante pour précipiter tout le ferment. Pour obtenir ce résultat, il faut que la liqueur mise à fermenter ait une densité égale à 15° : car c'est alors que l’alcool produit est en assez grande quantité pour précipiter tout le ferment [Note de Dubrunfaut : cet accroissement de densité est excessif car, d'après les nombres dignes de foi fournis par M. Vergnette Lamotte, dans ses précieux et savants travaux sur la vinification, le maximum de densité des vendanges de Bourgogne correspond à 13°. L’assertion de M. Mollerat quant au ferment permettrait de croire que la vendange en question aurait autorisé une addition supplémentaire de sucre avec eau correspondante à celle qui aurait élevé la densité de la vendange de 2 ou 3° Beaumé.]
Jamais, dit M. Mollerat, je n'ai eu la pensée de donner du parfum ou du bouquet en ajoutant un principe sucré quelconque à un vin donné ; j'ai seulement prétendu augmenter sa richesse alcoolique. Dès 1819, on employa en Bourgogne le sucre de fécule ; il en est résulté des améliorations incontestables, toutes les fois, je le répète, qu'on est resté dans de justes bornes.
Quand le moût, par exemple, donne moins de 10° au gluco-œnomètre, je conseille d'amener ce liquide à une densité qui peut aller à 15°. Pour obtenir ce résultat, il faut ajouter 3 kilogrammes de sucre par degré manquant et par chaque quantité de 228 litres de liquide : une plus grande quantité pourrait nuire, nous dirons tout à l'heure pourquoi. J'ajouterai une chose importante: dans la fermentation, il faut donner un temps suffisant au contact du ferment avec la matière sucrée, avant d'arriver au soutirage.
J'ai remarqué que ce que l'on nomme albumine végétale dans les fruits et les racines était une matière identique à celle qui existait dans les fruits sucrés, et qu'elle jouait le même rôle dans les liqueurs sucrées, en les faisant fermenter.
Je fus conduit à ce résultat par la série d'expériences suivante. Je fis râper de la pomme de terre ; on jeta le produit sur un tamis clair ; le liquide trouble recueilli fut mis dans un flacon de 12 litres rempli exactement ; il surnagea bientôt au dessus de la fécule une matière légère et blanchâtre. Ces deux matières occupaient à peu près dans le fond du vase le cinquième de la capacité, qu'une liqueur brunâtre achevait de remplir. La densité du liquide surnageant était de 4°. Traité par les acides minéraux, les alcalis, l'alcool, ou une température élevée, il laissa précipiter une matière semblable à celle qui surnageait à la surface même de la fécule.
Examinant ce liquide sous un autre point de vue, je reconnus qu'il était acide, et que, comme acide végétal, il tenait en dissolution le ferment, comme il arrive dans les fruits en général. Plus tard, l’examen des fruits me donna le même résultat, c'est-à-dire que leur ferment est précipité par l'acide sulfurique, par l'alcool, par la chaleur, et que les acides végétaux le dissolvent sans l'altérer.
Pour bien connaître la loi qui régissait cette réaction, j'ai placé dans une bassine d'eau chauffée progressivement une série de flacons contenant la liqueur acide filtrée provenant du râpage de pomme de terre, marquant 4° de densité, et parfaitement limpide. L'élévation continue de température a fait précipiter de l'albumine, dont j'ai mesure l’importance croissante en retirant de la bassine un flacon à chaque 10 degrés d'élévation de température, dont j'ai filtré la liqueur pour en séparer le précipité ; puis ajoutant à cette liqueur, devenue limpide, une quantité suffisante d'alcool, environ le double de son volume, qui a précipité toute l'albumine ou ferment que son acide tenait en dissolution.
En continuant à agir de la même manière sur chaque flacon que je retirais de la bassine à chaque augmentation de 10 degrés de température, j'ai vu successivement diminuer la quantité de ferment par addition d'alcool dans les liqueurs filtrées, de manière que l'épuisement complet du ferment s'est montré au 65° degré de Réaumur au dessus de 0 par la limpidité de la liqueur, même après l’addition ordinaire d'alcool. Ces opérations furent faites en 1822.
Le même jour, je fis écraser des pommes. Le suc trouble fut jeté sur une toile. Le produit limpide obtenu, il est resté sur le filtre une poudre analogue à celle qui surnageait dans le flacon de fécule. En effet, ce liquide clair a donne les mêmes phénomènes que celui provenant du râpage de la pomme de terre et surnageant la fécule.
La matière blanche et légère, dite albumine, qui occupait la place au dessus de la fécule dans le flacon de 12 litres contenant le produit des pommes de terre râpées, a été mise, dans diverses liqueurs sucrées, à l’étuve : la fermentation s'est manifestée de suite, et s'est conduite jusqu'à la fin exactement comme dans les expériences de Ia même espèce où j'avais employé le ferment de bierre convenablement nettoyé. La matière dite albumine, résultat des précipitations obtenues de la liqueur de pommes de terre, soit par l'élévation de température, soit par l'addition de l'alcool, mise dans des liqueurs sucrées à l’étuve, a produit la même fermentation que celle recueillie au dessus de la fécule dans le flacon de 12 litres, ou que le ferment de bierre. L'époque de la vendange arrivée, je fis écraser des raisins. Le suc trouble fut traité comme l’avait été la pomme de terre râpée, et comme le suc de pommes : il donna les mêmes résultats, c’est-à-dire du ferment en poudre, outre celui tenu en dissolution dans l'acide du fruit. En un mot, tous deux étaient propres à faire fermenter les matières sucrées. La nature a donc mis dans les fruits de sucre, du ferment et un acide, et ce dernier a la propriété de tenir le second en dissolution sans le décomposer.
Mais ordinairement chaque fruit, et plus particulièrement le raisin, contient plus de ferment que la quantité d'acide n'en peut dissoudre, et c’est cet excès de ferment qui constitue la matière solide en suspension contenue dans le liquide.
Lorsqu’il y a assez de sucre et assez de ferment dissous dans un liquide, chaque molécule de ce dernier entre en contact avec une molécule de sucre, agit sur elle, en opère la transformation en alcool, et le ferment décomposé devient inerte et insoluble; il tombe alors à l'état de poudre, et constitue la lie.
L'acide, alors, agissant sur le ferment en suspension, en dissout une nouvelle quantité ; l'action sur le sucre recommence, la fermentation continue : il y a formation d'alcool et nouvelle précipitation de matière inerte. Enfin, la fermentation cesse lorsqu’il n'y a plus de ferment dans la liqueur, quand même elle contiendrait du sucre, ce qui a souvent lieu ; et cependant l'acide reste dans la liqueur.
C’est la présence constante de cet acide qui distingue les vins produits sous la zone de température modérée, qui leur donne, si je puis m’exprimer ainsi, la saveur d'une limonade alcoolique agréable.
Il faut donc qu’il y ait toujours dans le moût assez de sucre pour fournir l’élément convenable a la destruction complète du ferment qu’il contient, soit par sa décomposition par le sucre, soit par sa précipitation par l'alcool, dont la quantité augmente dans la liqueur à mesure que le sucre est décomposé par la fermentation, puisqu’il a la faculté de chasser le ferment contenu dans une liqueur, sans même le décomposer ; autrement, celui qui resterait dans le liquide nuirait infailliblement à la qualité du vin, en le prédisposant à une suite de fermentation, et même à la fermentation putride. Voilà donc pourquoi il est si utile d’ajouter du sucre dans le moût quand la maturité du fruit n'a pas été complète.
Les vins de la zone méridionale restent sucrés, quoique étant cependant très alcooliques.
Ils doivent cet état : 1° à la densité trop élevée du moût, densité due à une trop grande quantité de sucre, en un mot à plus de 15° du gluco-œnomètre ;
2° A la maturité complète du fruit, qui a détruit une partie de l'acide dans le suc de raisin.
Le ferment est à l'état de poudre tenue en suspension dans le moût des raisins de ces pays; il agit sur le sucre du moût de la même manière que celui des brasseurs mis en contact avec le sucre de fécule ou de raisin, pour donner des vins riches en alcool, mais sans parfum spécial, et contenant d’ailleurs beaucoup de sucre non décomposé. Ces vins ont une durée indéfinie ; mais ils ne sont pas vifs, et déplaisent quelquefois à cause de leur saveur sucrée.
Mais combien il serait facile de faire dans ces pays favorisés par le soleil des vins vifs comme ceux des zones plus tempérées ! il suffirait d'aider un peu la nature, comme elle doit l’être souvent, pour obtenir de bons résultats.
Ainsi là les raisins complètement mûrs manquent de ferment et d'acide pour le dissoudre, afin de décomposer tout le sucre qu'ils contiennent dans un liquide dont la trop grande densité nuit à la fermentation : il suffirait donc de changer cet état pour obtenir des vins vifs. Il faut pour cela cueillir les raisins avant leur complète maturité : alors ils contiendront plus de ferment et plus d’acide pour le dissoudre, et aussi moins de sucre à décomposer. Enfin, si le moût est plus dense encore que 14 à 15°, il faudra le ramener à ce degré en ajoutant de l’eau : alors la fermentation produira d'excellents vins, fins et vifs.
Après avoir ajouté du sucre de fécule ou du sucre de raisin, ou enfin tout autre principe sucré se rapprochant autant que possible de la constitution chimique du sucre de raisin ou de fécule, il faut changer quelque chose aux habitudes de la vendange. Il faut d'abord avoir soin que la température des cuveries soit suffisamment élevée pour que les fermentations soient promptes et régulières ; il ne faut pas non plus descendre trop tôt les vins sortant de la cuve dans des caves froides : car la fermentation, quoique plus lente, doit se continuer encore longtemps, tandis que la température froide des caves arrête sa marche active. La tranquillité de la liqueur favorise alors le dépôt des matières qu'elle tenait en suspension ; et non seulement la fécule colorée, mais encore le ferment en poudre, gagnent le bas du tonneau, et forment la lie, qui contient l'élément précieux qui devrait être reporté de nouveau dans le liquide, pour y continuer la décomposition des molécules du sucre. Loin de là, on ôte souvent les vins de dessus cette lie précieuse, sous prétexte qu’ils sont clairs, tandis qu'il conviendrait de les troubler avec cette lie, afin de continuer la fermentation. Dans ce cas, il reste du sucre non décomposé, et du ferment en poudre qui aurait pu, par son contact avec l’acide du vin, acquérir la propriété de rétablir la fermentation. Cependant il est des limites auxquelles on doit s’arrêter. Il ne faut pas que tout le sucre soit converti en alcool ; il faut qu'il en reste un peu à l'état de non-transformation. Dans cet état, le vin devient gracieux et d'une finesse extrême.
D'après ce que nous venons de dire, on voit qu'il ne faut pas soutirer en mars lorsqu'il y a eu addition d'un principe sucré quelconque, et qu'on n'a pas pris les précautions nécessaires pour que le sucre soit entièrement décomposé par la fermentation : car cet élément ajouté dans le vin doit nécessairement déterminer une prolongation de fermentation qui, si elle n'est pas dirigée convenablement, amène la ruine des vins.
Si l'on veut avoir des vins arrivés promptement à l’état disponible, c'est-à-dire dont la fermentation soit terminée, il faut établir des étuves, des calorifères, pour tenir la cave à une température telle que la fermentation puisse se continuer jusqu'au mois de mars (15 à 16° R.). Les vins traités par ce procédé se sont constamment bien gouvernés, tandis que les vins descendus trop tôt dans une cave froide ont continué leur fermentation en cave comme en voyage.
Les vins tout à fait nouveaux n'ont point de bouquet, quelle que soit l’excellence de leur cru. Cette précieuse qualité se développe à mesure que le vin se dépouille de l'excès de matière colorante. Il est d'abord violacé, plus rouge, enfin mordoré. C'est pendant ce travail que les vins périssent ordinairement ; mais c'est alors aussi que le vin arrive à sa perfection, et qu'il porte un parfum qu'on est convenu de nommer bouquet, variable suivant les sols qui ont produit ce vin. Ce parfum est une espèce d'éther qui s'est formé lentement par le contact de l'acide, de l'alcool et de la résine odorante qui existe, surtout dans le vin rouge, avec la matière colorante, sous la peau du raisin, à laquelle elle adhère assez pour qu'il faille le concours de l'alcool produit par la fermentation pour l'en détacher et la dissoudre.
Cette formation d'éther parfumé est retardée et masquée par la trop grande quantité de matière colorante, qui ne quitte le liquide que lorsqu'elle est suffisamment oxygénée, pour devenir solide et descendre à l'état de lie.
La trop grande quantité d'alcool, comparativement surtout à la quantité d'acide dans le vin, retarde encore la formation de l’éther parfumé, puisqu'un des éléments nécessaires à sa formation n’est pas en quantité suffisante pour agir activement sur l'autre.
C'est ce qui a fait dire que les vins trop enrichis par l’alcool manquent de parfum, ce qui est vrai ; mais cette observation a pu être faite aussi sur des vins des années riches de maturité ; à ceux-là, comme aux vins artificiellement trop sucrés, il faut plus d'années pour arriver à leur perfection de saveur et de bouquet. C'est donc une grande faute que de faire tant d'efforts pour obtenir l’extrême coloration des vins par des foulages nombreux et un trop long séjour dans les cuves, puisqu'on retarde le moment de leur perfection, et qu'on a couru le risque de les perdre.
Ou a toujours joui plus tôt de l'excellence des vins légers, soit par leur fabrication, soit par la nature de leur climat, ou bien même par la moins grande richesse végétative de l'année.
Cependant les vins forts ont les éléments qui produisent le bouquet ; ils arrivent aussi, mais plus tard, à leur perfection, parce qu'ils ont un travail plus long à faire pour atteindre ce but, et ces vins sont aussi plus durables, précisément à cause de leur richesse. Je connais du Richebourg 1832 qui, au bout de 14 ans, commence à montrer son excellent parfum.
J'ai avance tout à l'heure que c’était à la matière colorante et à la matière résineuse attachée à la peau du raisin qu'étaient dues les maladies et souvent la ruine des vins pendant qu'ils se dépouillaient de l'excès de la première de ces deux matières, et que c'était à la seconde qu’ils devaient leur bouquet.
Les vins blancs justifient cette proposition : ils ont en général peu de bouquet, et ce qu’ils en doivent avoir se montre dès la première année. Les raisins blancs, portés de suite au pressoir sans passer à la cuve, n’ont point de fermentation préalable qui doive détacher la fécule de l’enveloppe du fruit, conséquemment point ou peu de dépouillement à taire pour montrer leur parfum. Aussi la solidité des vins blancs est à peu près universelle ; mais la plus parfaite épreuve résulte des vins blancs produits par des raisins rouges exprimés avec précaution pour n'avoir point de matière colorante, comme cela se pratique dans la fabrication des vins mousseux. Ce sont des liqueurs à peu près sans parfum, quoique provenant de vignes dont les vins mis en rouges sont d'une durée indéfinie, parce qu'ils n'ont pas les embarras du dépouillement d'une matière colorante a subir.
On se tromperait beaucoup si on prétendait rendre service à un vin fortement coloré en le soutirant et en le collant souvent, sous prétexte de l’aider au dépouillement d'une partie de la matière colorante : ces deux opérations, soutirage et collage, dépouillent, il est vrai, mais rudement, le vin, non seulement de la matière colorante, mais encore du tannin, du ferment et d'une partie de la résine odorante, toutes matières tenues dans la liqueur, et qui devaient à la longue amener l'excellence du vin. La privation qu'on lui a fait subir de ces éléments a amené le vin, on en convient, à un terme plus prochain ; ce terme a été atteint en le desséchant et en l'amaigrissant, au lieu d'avoir laissé agir la nature lentement sur lui, ou de l'avoir aidée seulement pour la faire agir plus vite, soit en élevant la température pour aiguiser l’action des éléments les uns sur les autres, soit en le soumettant à un léger mouvement continuel, qui favorise également l’action dont j'ai parlé plus haut, comme on le voit par les vins de Bordeaux, qui se dépouillent plus vite et mieux dans les voyages de long cours sur mer, pendant lesquels ils ont éprouvé et l’élévation de température et le mouvement continu.
Les principes que nous venons de reconnaître constituent les vins en général ; mais la nature a ajouté, dans chaque climat, d'autres principes auxquels les vins doivent leurs qualités spéciales. Parmi ces principes, nous citerons l'acide, les sels et le tannin. Les sels se précipitent par le repos, le temps ou la présence d'une certaine quantité d'alcool.
Les vins durs, même après avoir été long-temps gardés, doivent cette qualité au tannin. C'est ce principe trop abondant qui masque dans les vins de Bordeaux l'alcool, qu'ils contiennent en aussi grande quantité que celle de Bourgogne ; il concourt, avec la matière colorante, à masquer le bouquet dans ces mêmes vins : le temps. les voyages, peuvent seuls précipiter ce principe, et faire arriver ces vins à leur état de perfection.


Opinion de M. Poulet-Denuys de Beaune.

Sans vouloir suivre son ami le savant et très honorable M. MoIlerat dans la brillante exposition qui vient d’être faite, il désire faire connaître au Congrès les motifs qui ont déterminé le comité des propriétaires et négociants en vins de l'arrondissement de Beaune à se prononcer d'un manière tout à fait absolue contre le sucrage des vins.
Après avoir rappelé combien le système préconisé; par un savant de premier ordre, Chaptal, il y a une vingtaine d'années, et adopté depuis assez généralement, avait été funeste à la Bourgogne en portant atteinte a la réputation de ses vins, M. Poulet a surtout fait ressortir les graves inconvénients qui en résultaient.
Ainsi, ajoute M. Poulet, on ne contestera pas que le sucrage des vins a pour résultats fâcheux :
1° De dénaturer complètement les vins de Bourgogne en leur enlevant ce que ces vins ont de plus précieux, de plus parfait, leur incomparable bouquet, et aussi leur délicatesse, qui est leur véritable type ;
2° De les enrichir de manière à augmenter considérablement leur richesse alcoolique, ce qui, en les rendant plus spiritueux ou plus échauffants, en a singulièrement fait restreindre l'usage ; tandis que dans leur état naturel, tels, en un mot, qu'on les récoltait autrefois, il est constant qu'ils ne contiennent pas plus d'alcool que les vins de Bordeaux avec lesquels ils peuvent lutter pour la solidité ;
3° D'entretenir dans les vins un principe, une disposition à la fermentation tout à fait contraire à leur bonne conservation.
M. Poulet a en outre signalé, comme une circonstance tout à fait capitale, l'impossibilité absolue de distinguer, en primeur et pendant au moins la première année, dans les vins sucrés, non seulement la nuance de qualité qui leur appartient, mais même celle du climat d'où ils sortent ; de telle manière qu’étant obligé de les acheter de confiance, il peut arriver assez fréquemment d'admettre, en primeur, comme vins de premier ordre, des vins d'une qualité secondaire.
C'est en raison de ces considérations, dit en terminant M. Poulet, que le comité de Beaune avait été unanime pour reconnaître que le sucrage des vins de Bourgogne devait être à l'avenir complètement abandonné, et a adopté le rapport qui suit :
Le vin, considéré chimiquement, est une dissolution, dans un alcool très étendu d'eau, de sels divers, d'acides végétaux, de mucilage, de tannin et de matière colorante.
L'eau seule, abandonnée à elle-même au contact de l’air, entre promptement en décomposition.
L'alcool, les sels, les acides, le tannin, le sucre, sont les principes auxquels on doit la conservation de toutes les préparations végétales et animales destinées à l’alimentation de l'homme ou à ses usages.
Le vin présente dans sa composition, à des doses diverses, tous ces principes de conservation.
L’industrie et la science ont inventé de suppléer, par différentes additions, à ce que la nature refusait au vin dans certaines années. De là s'est propagé l'emploi de l'alcool, du tannin et du sucre.
Le tannin, sous forme de teinture de cachou ou de tannin pur, est principalement employé par le Bordelais et la Champagne ; le sucre l'est plus particulièrement par la Bourgogne ; l'alcool, par les falsificateurs des grands centres de population.
Chaptal, qui était né dans le Midi, et, comme tel, n'estimait le vin qu'en proportion de sa force alcoolique a considéré l’alcool comme le principal élément conservateur des vins, et c'est sur cette base qu'ont été élevés les tristes éléments de vinification qui nous régissent encore aujourd'hui.
Avant Chaptal, nos raisins, vendangés plus tôt, et par conséquent dans de meilleures conditions de température, étaient plus riches en sels, en tannin et en acides : car on sait que, par l'effet de la végétation, ce sont les acides qui se transforment en matières sucrées et en mucilage par une déperdition d’oxygène.
Depuis Chaptal, on a cherché à obtenir une maturité qui rapprochât nos raisins des raisins plus sucrés des pays méridionaux.
Quand la maturité n'a pas paru suffisante, on a ajouté au moût, ou au vin nouvellement tiré de la cuve, différentes sortes de sucres, en diverses proportions.
Que le sucre ait été additionné au moût de la cuve ou au vin décuvé, il subit les mêmes transformations ; seulement, s'il y a moins de perte quand on chaptalise ou procède le vin au tonneau, la fermentation du liquide se prolonge davantage.
Qu’il s'agisse des sucres raffinés, des sucres bruts de canne, ou des sucres de fécule, les corps nouveaux qui naissent de leur décomposition dans la cuve sont à peu près les mêmes [Note de Dubrunfaut : Ceci est une erreur matérielle, et les sucres employés en Bourgogne avant 1845 ont été le plus souvent des résidus de raffinerie fort impurs, et par là même fort impropres à un bon sucrage. M. Poulet, en attribuant ici des résultats fâcheux au sucrage, fait cependant une distinction en faveur des sucres autres que le sucre fécule.]. Toutefois, les sucres de fécule sont ceux qui ont donné les plus fâcheux résultats.
Le sucre ajouté au vin ne produit pas le même effet, suivant qu’il est employé à faible ou à haute dose.
La dose ne dépassant pas 2 kilogrammes par pièce de 228 litres, il arrive qu’il existe dans le raisin assez de ferment pour que toute la matière sucrée (naturelle ou artificielle) de la cuve soit décomposée. Quand le sucre a entièrement fermenté, il augmente la proportion d'alcool du liquide.
A haute dose, dépassant 10 kilogrammes par pièce de 228 litres, la plus grande partie de la matière sucrée reste dans le vin à l'état de sucre, et la dissolution, chimiquement parlant, pourra se comporter comme les sirops.
A dose intermédiaire de 2 à 10 kilogrammes par pièce de 228 litres, il y aura toujours incertitude sur la manière dont le sucre aura agi. Dans ce cas, il est probable qu'il sera resté dans le vin une portion de sucre non altéré, Il se comportera donc comme un liquide riche en alcool et en matières sucrées non décomposées.
La coloration des vins s'obtient comme toute teinture dont le but est de fixer les matières colorantes sur certaines substances. Dans la cuve, on retrouve la substance à teindre, qui est l'eau ; le mordant, qui est le bitartrate de potasse ; enfin, la matière colorante, qui est contenue dans la cellule du grain, et ne devient soluble que par la présence de l'alcool.
Comme on a remarqué que certains vins de qualité offraient une teinte plus prononcée, on a cherché, dans le but de donner à nos produits un aspect plus flatteur sous ce point de vue, à augmenter la couleur du vin. En élevant le degré alcoolique par l’addition du sucre, on a aidé à la dissolution de la matière colorante, et, en réalité, donné au liquide une couleur plus riche et plus veloutée.
La fermentation de toute matière sucrée donne, entre autres produits, un corps hydrogène analogue aux huiles essentielles, et particulier pour chaque espèce de sucre. Cette substance imprime au vin une saveur âcre et pénétrante, qui se prononce surtout au moment de la déglutition.
Ainsi, en résumé, au premier examen, les vins sucrés ont plus de parties alcooliques, plus de moelleux, plus de couleur, sont, en un mot, plus marchands, et n'ont contre eux qu'une saveur particulière dont la sensation se détermine surtout à l'arrière-gorge.
Voyons maintenant ce que deviennent ces qualités.
Les vins chaptalisés, dans lesquels tout le sucre a subi la fermentation alcoolique, étant très spiritueux, agissent d'une manière énergique sur l'économie animale, et peuvent être très préjudiciables à la santé. Le consommateur n'est point long à s'en apercevoir ; il en modère d'abord l'usage, plus tard il le quitte entièrement.
Les vins vinés par l’addition en nature de l'alcool ont une action encore plus funeste sur les voies digestives, l'alcool pur se comportant dans le canal alimentaire comme les poisons inorganiques, qui se combinent avec les membranes muqueuses.
Les vins sucrés à haute dose se rapprochent des vins du Midi, flattent agréablement le palais quand ils sont vieux ; on en boit avec plaisir un premier verre, mais on est vite arrivé à la satiété. Ce cachet étranger imprimé à nos vins contribue donc encore à en diminuer la consommation.
D’ailleurs, comme le tannin et le bitartrate de potasse sont moins solubles dans un liquide très chargé d'alcool que dans un vin qui n’a pas été sucré, il en résulte qu'on a éliminé du produit chaptalisé certaines portions des substances qui entrent dans la composition du vin et concourent à sa conservation ; ce qui nous explique encore pourquoi les vins procédés ont moins de bouquet et doucinent plus que ceux qui ne Ie sont pas.
On sait, en outre, que 100 parties de sucre en poids donnant 51,34 d'alcool, et en volume 64,89 d'alcool à 0,79 ; mais 62,89 d'alcool à 0,79 correspondent à 70,50 d’alcool à 0,82.
En admettant 12,00 pour moyenne de la vinosité des vins de Bourgogne, le moût correspondant doit être chargé de 17 % de sucre ; d'où l'on conclut que 3 kilog. 24 de sucre par pièce de 228 litres augmentent la vinosité de 1 %. Les vins chaptalisés à 6 kilog. 50 par pièce de 228 litres sont donc portés à 14 % d'alcool. Les vins de Lunel et d'autres vins du Midi n'en contiennent pas une plus forte proportion. L'excès de matières colorantes que l’on a introduites dans le vin dans le but de lui donner un aspect plus flatteur n'a point trouvé dans le suc du raisin trop mûr assez de mordant pour les fixer d'une manière stable sur l'eau de dissolution. Cette couleur se comporte donc comme, en teinture, se comportent toutes les teintes fugaces : le vin se décolore sans cesse, et cette séparation continue de matières colorantes entretient dans sa masse un dépôt floconneux permanent qui nuit d’abord à la limpidité du liquide, et peut ensuite contribuer à y déterminer une fermentation maladive.
La saveur âcre et pénétrante qui se manifeste à la déglutition de tout vin sucré détruit et au delà la sensation agréable qui a pu résulter du premier contact des houppes nerveuses du palais avec un liquide corsé et moelleux.
Enfin, comme les vins sucrés demandent à être vieux pour obtenir plus de fondu, on les a chauffés, dans le but d'en hâter la fermentation ; et on ne s'est pas préoccupé de ce fait, que toute fermentation secondaire d'un produit alcoolique qui s'établit à une température de 30 à 35° cent. donne nécessairement de petites quantités d'acide acétique, et transforme une partie du sucre en mannite, qui est une substance moins oxygénée.
Mais si maintenant nous voulons examiner ce qui peut résulter de fâcheux pour la santé des vins du mélange des vins procédés avec les vins non procédés, on n’hésitera pas à attribuer à cette cause une partie de leurs maladies.
Quelques propriétaires, sur les demandes du commerce, ont aussi, dans leur intérêt personnel, eu recours à l'emploi du sucre pour améliorer leurs vins ; et voici comment ils ont dû opérer pour l'écoulement de leurs produits. Ils ont procédé à haute dose leurs secondes cuvées, en laissant les premiers crus purs de toute addition. Mais, d'après les errements fâcheux introduits dans le pays, ces vins, trop spiritueux pour être livrés en nature à la consommation, ont été plus tard ajoutés aux crus d'ordre, que l'on a pensé devoir soutenir en les mélangeant à une faible dose au vin plus riche en alcool des cuvées chaptalisées. Cette mesure a présenté les plus déplorables résultats. En effet, que se passe-t-il dans cette opération ? Le vin non sucré peut contenir un reste de ferment, sans présence de matières sucrées ; le vin procédé contient au contraire un excès de sucre sans ferment. En mettant en présence ces deux sortes de vins, il arrive qu'on obtient un liquide dans lequel se trouvent tous les éléments d'une fermentation nouvelle, et on peut être assuré qu'il en résultera souvent un compose livré à la maladie et à la destruction : car, dès que les conditions qui ont présidé à la formation des combinaisons chimiques viennent à changer, les éléments qui les composent se groupent dans un ordre différent.
Voilà, dans le simple exposé de ce fait chimique, la cause première de toutes les fermentations secondaires maladives qui s’emparent si souvent des vins mélangés.
On m’a objecté que les vins, même non sucrés, fermentaient dans la première année. Oui ; mais cette fermentation est la suite du travail de la cuve, tandis que la fermentation des mélanges entraîne à sa suite toutes les conséquences résultant des combinaisons de corps nouveaux mis en présence ; de plus, tout mélange produit une élévation de température, et toute élévation de température aide au développement des affinités chimiques.
On a dit que les Bordelais faisaient chaque jour une redoutable concurrence à nos vins. Je le comprends, en tant que l’on n’oppose à leurs produits que des vins aussi spiritueux que les vins chaptalisés. Mais le jour où l’on aura complètement renoncé à l'emploi du sucre, pourquoi nos crus déclassés ne reprendraient-ils par leur rang ? Nos vins ne contiennent pas plus d'alcool que les vins de Bordeaux ; vendangés dans de bonnes conditions, ils sont aussi solides qu'eux, et, en fin de compte, ils leur sont supérieurs à cet endroit, qu'il est inutile, pour leur donner un cachet de finesse remarquable, de les allonger avec des produits étrangers. En un mot, nos vins sont complets, et la Bourgogne, elle, n'a nul besoin de s'aller recruter dans l'Ermitage ou certains vignobles du Roussillon ou de l’Espagne.
On a encore prétendu que les consommateurs des vins de Bourgogne demandent des vins plus corsés que jadis, et tiennent moins qu'autrefois au cachet de finesse qui faisait le principal mérite de nos vins. Je répondrai que l’emploi du sucre ne remplit pas, à ce point de vue, le but qu'on se propose, puisqu'il donne soit un vin très spiritueux, soit un vin sirupeux et empâtant, et que les Bordeaux, qui nous font concurrence, n'ont aucun de ces caractères. En vendangeant plus tôt et dans de meilleures conditions de température, les vignes de bons crus donneront des vins solides, qui présenteront aux consommateurs les plus délicats les mêmes qualités que jadis. Aux terrains marneux des coteaux on devra les vins plus corsés que le commerce recherche aujourd'hui. Enfin, la plaine, qu'une fausse spéculation a plantée en pineau, sera, par la force des choses, rendue à sa vraie production, celle du gamay. C'est aux vins faibles qui proviennent de cette dernière culture, et aux produits inférieurs des années médiocres, qu'on doit la propagation de l'emploi du sucre. En effet, la propriété et le commerce ayant cherché à tirer un parti avantageux des secondes cuvées de noirien, l'addition au moût de matières sucrées a semblé devoir résoudre le problème. Ces vins secondaires, qui n’auraient jamais paru dans le commerce des vins fins, y sont entrés, le sucre aidant, et c'est ce produit nouveau qui a éloigné le consommateur de nos grands vins, qui pourront, eux, toujours se bien présenter et bien finir sans l'emploi des procédés de Chaptal.
C'est ainsi que la Bourgogne pouvait porter, par ses mousseux, un rude échec à la Champagne ; mais la spéculation a. introduit les crus inférieurs dans la fabrication des mousseux, et les mousseux ont été perdus pour la Bourgogne.
Enfin c’est dans les sels, les acides végétaux, le sucre et le tannin existant dans le suc du raisin, que nous devons chercher les seuls éléments de la conservation de nos vins. En vendangeant plus tôt, en classant les cuvées, en renonçant aux engrais azotés et au sucre, en modifiant la culture, en apportant plus de soins à nos procédés de cuvage et de vinification, on arrivera à une réforme qui nous aura promptement ramené le consommateur ; mais si nous persistions à vouloir SOUTENIR ET AMÉLIORER nos vins par l'addition du sucre, toutes les autres réformes n'aboutiront qu’a un résultat incomplet. Il restera à l'art, dans un but de conservation, l'emploi de l'acide sulfureux ou du charbon animal, qui agissent comme des oxydants (soufrage des vins) ; l'exposition des vins au froid (congélation à un faible degré des vins dans les hivers dont la température restera au dessous de 10° cent.) ; enfin la soustraction de nos produits à la chaleur des saisons, soit par leur séjour dans les caves fraîches, soit, dans les expéditions, par leur isolement des corps plus chauds, isolement qu'on peut obtenir par l’encaissement des futailles au milieu des substances qui conduiront mal le calorique, telles que la paille, la laine, le charbon pilé.
Dans cette question si grave de la santé et de la qualité des vins, je ne crois pas à la chimie d'autre pouvoir que celui de nous signaler la nature des causes, qui contribuent au mal, dans le but de diriger dans une voie plus rationnelle nos méthodes de culture et de vinification.
La science ne doit pas aller au delà, et jamais elle ne fabriquera de toutes pièces ce que le soleil et le terrain auront refusé à nos produits. En un mot, jamais Surennes et Argenteuil ne deviendront les rivaux heureux de Volnay et de Chambertin.
Je terminerai enfin par ce fait, que les négociants qui ont le moins cru aux effets tant vantés du sucre, et ont eu plus de confiance, soit à des approvisionnements considérables dans les années de qualité, soit à l'addition des vins plus durs des arrière-côtes, soit à l'emploi du tannin, emploi si répandu dans le Bordelais, soit au mélange des vins gelés ou vins étrangers, plus acerbes que sucrés, sont certainement ceux qui, dans ces dernières années, ont essuyé le moins de reproches de la part de leurs clients.
En résumé, si les vins du Midi doivent leurs qualités a la haute proportion de sucre et d'alcool qu'ils contiennent, les vins de la Côte d'Or, comme les vins de Bordeaux, sont surtout riches en tartrate acide de potasse et de fer et en tannin : c'est à ces deux éléments qu'ils doivent leurs caractères et en partie leurs principes de conservation, puisqu'en moyenne ils ne donnent à la distillation que 12 p. 100 d'alcool. D'après cette composition, ils sont d'un usage éminemment salutaire. Toute addition de sucre faite à nos vins en change la nature chimique, et contribue en outre à leur enlever le cachet de finesse et de bouquet qui leur est particulier. Il est donc de la plus grande importance de renoncer à son emploi, et on doit engager les négociants et les propriétaires à concourir de tout leur pouvoir à la réaction qui, depuis 1842, a commencé à s'opérer dans notre vignoble contre les procédés de vinification conseillés par Chaptal.

Opinion de M. de Vergnette.

II commence par rendre hommage aux profondes connaissances de M. Mollerat, dont personne plus que lui n'admire les beaux travaux et les savantes applications qu’il en a faites aux arts industriels ; mais il pense que plus M. Mollerat est haut placé dans la science, plus on doit combattre les conséquences qu’il a déduites de ses belles théories. M. de Vergnette expose que la chimie, dont les progrès nous permettent aujourd'hui l'analyse des substances les plus compliquées dans leur composition, est encore sans moyen de reconstituer par voie de synthèse les corps organiques dont elle a isolé les éléments. Selon M. de Vergnette, si le sucre de fécule, tel qu'on l'extrait des pommes de terre, contient le même nombre d'équivalents que le sucre de raisin, il y a dans ces deux corps une différence de disposition moléculaire telle qu’ils ne peuvent être remplacés l'un par l'autre. M. Mollerat, dans son savant exposé, a dit que c’était la nature qui faisait le bouquet des vins, el qu'on ne l'imitait pas. M. de Vergnette pense qu'on n'imitera pas davantage les autres principes organiques qui sont contenus dans le raisin.
M. de Vergnette-Lamotte prétend que les vins chaptalisés, étant très alcooliques, deviennent ou d'une consommation plus restreinte, ou sont préjudiciables à la santé. Le procédé enlève en outre au vin leur bouquet et leur finesse.
L'excès de matière colorante dont on a chargé les vins sucrés les rend d'une conduite difficile. Le système Chaptal a encore eu pour conséquence le chauffage des caves, Dans cette opération, pratiquée dans le début par quelques négociants qui l'ont rejetée aujourd’hui, M. de Vergnette, appelé à en étudier les effets, a souvent constaté dans les étuves une température qui dépassait 25° centigrades, et dans les tonneaux la formation de petites quantités d'acide acétique. Enfin, dans le mélange qui a été fréquemment fait des vins procédés avec ceux qui ne l'étaient pas, il arrivait qu’on mettait en présence des liquides qui contenaient un reste de ferment sans trace de matières sucrées avec des vins procédés contenant au contraire un excès de sucre sans ferment. Le mélange obtenu renfermait dès lors tous les éléments d'une fermentation nouvelle, et cette manière d'opérer a très souvent conduit aux plus tristes résultats.
Abordant la question de la santé des vins, que M. Mollerat pense exclusivement soutenue par le sucre, M. de Vergnette expose que l'alcool n'est pas le seul élément conservateur du vin. Les sels acides, le tannin, etc., qu'il contient, concourent au même but ; et, comme leur solubilité dans un liquide varie en raison inverse du degré alcoolique de ce liquide, il en résulte qu'on élimine du produit chaptalisé certaines portions des autres substances qui aident à la conservation du vin.
M. de Vergnette cite des vins, tels que les 1827, 1832, 1838, qui, quoique peu alcooliques ( ils n'en contenaient pas 12 p. 100), étaient de qualités remarquables, et furent doués de principes suffisants de conservation pour avoir fait honneur au pays.
Revenant au but d'amélioration dont M. Mollerat a vanté le résultat dans le système Chaptal, M. de Vergnette en signale sous ce rapport les inconvénients. Selon lui, en primeur, et même pendant la première année, il est impossible, dans les vins procédés, de distinguer les cuvées d'un ordre et d'un climat différents. Mais tôt ou tard le consommateur s'aperçoit de l'erreur, et, comme il ne retrouve plus dans le vin qui lui est livré les hautes qualités du Bourgogne, il en abandonne l'usage.
M. de Vergnette pense donc que la science, qui, par l'analyse des substances végétales, nous a éclairés sur l'alimentation organique que demande la vigne, et qui a tant encore à nous apprendre sur les phénomènes de la vinification, n'a point rendu service à la Bourgogne par l’introduction d'un procédé qui a pour effet de donner à un produit l'apparence des qualités qu'il n'a pas, et aide puissamment à toutes les falsifications que l'on opère sur les boissons fermentées. Si, par l’addition du sucre à des raisins communs et verts, ou à des fruits médiocres, si même, par un mélange d'eau, de ferment et de sucre, on peut composer une liqueur fermentée, qui, bue avec addition d'eau sera moins mauvaise qu'elle ne l'eût été sans l’emploi du procédé, le consommateur qui achèterait cette boisson avec connaissance de son origine et sous un nom de convention qu’on devrait lui donner n'aurait point à se plaindre qu’il a été trompé ; mais il n’en est pas de même pour des vins de luxe, destinés à être consommés sans addition d'eau, achetés pour grands vins, et dans lesquels on recherche avant tout un cachet de finesse et de bouquet incompatible avec l’emploi du sucre.
Messieurs, dit M. de Vergnette, je terminerai par cette conclusion, qui, je l’espère, trouvera de l'écho dans cette enceinte bourguignonne. Revenons à une appréciation plus juste de la valeur des seconds crus et des vins des années médiocres. Ces vins feront de grands ordinaires, dont les débouchés seront assurés, et nous ne livrerons plus à la consommation, comme vins de luxe, des vins chaptalisés, produit bâtard qui discrédite nos grands crus, peut compromettre l’avenir du pays, et va même jusqu’à nous entacher à l’endroit de notre vieil honneur bourguignon.

Opinions diverses.

M. SAUZEY pense que, par l’emploi du sucre, les crus inférieurs ont été appelés à faire une concurrence sérieuse aux premiers crus, et que c'est à cette cause qu'il faut attribuer la réclamation de quelques propriétaires possesseurs des grands vins. Il soutient d’ailleurs que le sucre dans le vin ne fait qu'améliorer, sans le rendre plus alcoolique.
M. LECLERC explique que, dans les vins procédés, le sucre ajouté est transformé en alcool, et n'agit plus sur l'organisme de la même manière que le sucre dont nous assaisonnons nos fruits ou nos mets d'office.
M. le docteur BONNET déclare que l’abus des vins alcooliques peut prédisposer aux affections du cerveau.
M. VAREMBEY soutient qu'avec le sucre on a donné à des vins médiocres toutes les qualités des grands vins, et que de plus on a obtenu des vins beaucoup plus solides. M. Varembey nous explique comment, par les conseils de M. Mollerat, il a, par un mélange convenable de lie, de sucre de fécule et d'eau, obtenu des vins de Xerès remarquables, et qu'il a conservés pendant 19 ans.
M. CHEVILLARD dit que le sucre n'a pas toujours assuré la santé des vins ; il cite à l'appui de son opinion ce fait capital, que les vins de 1840 que l'on a procédés n'ont pas par là échappé à la maladie, qui, du plus au moins, a frappé tous les vins de cette récolte.
M. DELARUE. Un des graves inconvénients d'employer le sucre de fécule mal fait et tel qu'on le livre au commerce, c'est qu'il contient 20 à 25 pour cent d'un principe qui n'est pas saccharifié, et qui n'est plus de la fécule : C'est à ce principe que ce sirop doit la saveur herbacée qui le distingue. Ce défaut de saccharification le fait facilement reconnaître du sucre de fécule bien fait : car ce dernier, susceptible d'une cristallisation particulière, a une saveur douce et fraîche, et même agréable.
M. MOLLERAT signale l'abus d'élever la température à 25°. Il n'a jamais prescrit qu'une température modérée. Tout en admettant une partie des conclusions de M. de Vergnette, il s'attache à déclarer et à faire connaître que tous les abus signalés ne proviennent que des excès ou du mauvais emploi des procédés ; on n'en condamne l'usage que parce qu'on ne sait pas le régler convenablement.
Je le répète, dit l'honorable membre, l'alcool ajouté directement sépare Ie ferment ; le vin s'appauvrit. Il ne peut qu'approuver l'addition du sucre faite dans de justes proportions ; il condamne absolument l’emploi de l'alcool, et surtout de l'eau-de-vie, qui, contenant une essence parfumée, altère la qualité du vin, et plus spécialement son bouquet.
M. LECLERC demande s'il existe un moyen autre que celui de la dégustation pour arriver à reconnaître l'emploi du sucrage artificiel. Il pense que, si on arrivait à connaître ce procédé, le consommateur saurait en tirer parti et en reconnaîtrait les abus : car, s'il n'existe aucun moyen de reconnaître l’emploi du sucre, il sera inutile de le proscrire ; on n'arrivera jamais à détruire cet abus.
Il demande si les vins procédés ne sont pas plus sujets aux maladies que les vins naturels, et si la difficulté qu'ils éprouvent à voyager ne tient pas au procédé lui-même.
M. DELARUE pense que le seul moyen pour reconnaître si un vin à été additionné de sucre ou d'alcool est de distiller le vin, de le comparer sous divers points de vue à un vin dont on connaît l'origine ; que pour cela il faudrait tous les ans titrer les vins des grands crus. Leur richesse alcoolique étant connue, tout vin qui dépasserait le titre d'un ou de deux degrés serait déclaré vin additionné. Il renvoie, pour plus amples informés, au tableau des analyses des vins qu'il soumet à l'examen du Congrès.
Il pense aussi que la difficulté de voyager des vins de Bourgogne tient plutôt au mélange des vins sucrés contenant encore du sucre et plus de ferment avec des vins contenant encore du ferment et ne contenant plus de sucre. L'agitation occasionnée par le roulage met en contact le ferment en excès du vin naturel et le sucre non converti en alcool de celui qui a reçu une trop forte quantité.
M. GAULIN conclut, comme M. Leclerc, contre l'emploi du sucre ; mais, s'il en proscrit l’emploi dans les grand vins, il demande si le sucre ne devrait pas être employé dans les vins de faible qualité. IJ est hors de doute que, dans de mauvaises années, l'emploi du sucre présente des avantages sous tous les rapports, avantages qui doivent entrer en considération : car d'une boisson sans valeur, qui souvent peut être nuisible à la santé, ne peut-on faire une boisson saine, bienfaisante et acquérant une valeur vénale qui permet au producteur de rentrer dans ses avances ?
M. DEMERMÉTY. Le procédé laisse un goût particulier qui se reconnaît au palais ; il a expérimenté qu'un vin gelé a laissé beaucoup de saveur, de vinosité, mais point de bouquet.
M. POULET. M. Leclerc a semblé tout à l'heure attribuer la cause du désastre des vins de Bourgogne au commerce. Je proteste contre une pareille insinuation. Le commerce seul n'a pas commis la faute ; il n'a pas exigé que le propriétaire sucrât ses vins, mais le propriétaire a lui-même aidé au système en sucrant ses vins pour les faire valoir davantage.
M. LECLERC s'excuse sur le sens qu'on a pu donner à ses paroles contre le commerce en général ; il pense que l'entraînement a été causé par l’exemple, et, s'il peut citer des faits dans lesquels le négociant a imposé le procédé à certains propriétaires, il n'en conclut rien contre le commerce en général.
M. GAULIN revient sur le sucrage, et réclame une exception en faveur des vins ordinaires, qui prennent, par ce procédé, un peu plus de qualité. Il résume son opinion en demandant le maintien du sucrage en faveur du petit vin.
M. POULET demande que le principe soit général. En admettant les exceptions, on ne pourra plus rien garantir. Par le procédé, les vins ordinaires deviennent momentanément des vins fins ; Il faut, avant tout, que les vins ordinaires restent pour ce qu'ils sont.
M. CHEVILLARD passe sous silence la discussion chimique ; il veut seulement s'arrêter à quelques points.
Puisque MM. les chimistes, dit M. Chevillard, ont établi que l'opération devait être faite par des hommes habiles et avec beaucoup de précaution, j'en conclus qu'on ne peut confier l’opération du sucrage à des mains vulgaires ; je pense aussi qu'on doit renoncer à l’emploi du sucre dans les vins communs, puisque le prix des vins sucrés ne serait plus à la portée des classes pauvres.
M. DELARUE fait observer qu’il ne s'agit pas d'être chimiste pour conduire l'opération du sucrage ; que la plus simple observation suffit pour la conduire, et que la quantité réelle de sucre ajoutée à un mauvais moût qui ne peut produire qu'une boisson désagréable et souvent malsaine, pour produire un liquide agréable et bienfaisant, n'en élèvera jamais le prix de manière à en empêcher la consommation.
M. SAUZEY pense qu'on ne doit pas condamner a priori l'usage du sucre ; il cite les Grecs, les Romains, les Athéniens, qui ajoutaient du miel dans toutes les amphores. Il faut que la science vienne en aide à la nature ; il faut qu'elle arrive à déterminer les justes proportions du sucre et de ferment. Arrivés là, les chimistes auront gagné de nouveaux titres à la reconnaissance publique. Il faut condamner les abus, les mauvaises expériences ; mais il faut encourager toutes celles qui ont pour but l'amélioration d'une production aussi intéressante que celle de la vigne.
M. LECLERC répond à M. Sauzey que les Grecs et les Romains, en introduisant du miel, des aromates, de l'encens, de la myrrhe, dans les vins, agissaient sous l'influence d'un goût particulier, et non pas pour leur donner une qualité que nous recherchons généralement.
Il condamne l'usage introduit en Champagne de procéder les vins. Ce pays a perdu de sa réputation en raison de cet usage. Il conclut en conséquence contre l'exemple cité par M. Sauzey et la comparaison qu'il a faite. Il rend hommage à la science ; mais, jusqu'à ce qu'elle ait découvert le moyen de conserver les vins, de les rendre exempts de maladies, il ne veut s'en tenir qu'aux ressources de la nature.
M. POULET critique la comparaison qu’on a voulu faire avec les vins de Champagne. Il cite l'usage de la liqueur introduite dans le vin à différents degrés, le sucre employé pour développer la mousse et entretenir le ferment : ce sont des vins d’un type particulier ; il n'y a aucun inconvénient à sucrer ces vins.
M. MOLLERAT partage l'opinion de M. Poulet. La liqueur, dit-il, est indispensable dans le vin de Champagne ; il ne peut avoir la mousse qu'à la condition de posséder de l'alcool en suffisante quantité pour précipiter le ferment. En un mot, le vin de Champagne est un vin spécial.
M. LECLERC combat vivement la méthode du sucrage. Cette pratique, connue sous de mauvais rapports sur tous les points d'approvisionnement, a discrédité les vins de Bourgogne en France comme a l'étranger. Il applaudit hautement à la décision prise hier par le Congrès ; il espère que cette décision fera sortir la Bourgogne de l'état de crise dans lequel le sucrage l'a plongée. C'est vainement, dit-il, que la science se vante de faire du Xerès avec du sucre, de l'eau et des poudres quelconques : il n'y a de Xerès possible, comme de Vougeot possible, que celui qui se fait à Xerès ou à Vougeot par les vignerons, Dieu aidant.
M. MOLLERAT répond à M. Leclerc par des observations pratiques. Il fait ressortir d'une manière savante les différences qui existent entre les vins sucrés de la zone méridionale et les vins secs de la zone tempérée. Il rappelle avec quelle facilité ou peut imiter les premiers, et dit avoir bu de ces vins fabriqués qui ne laissent rien à désirer ; mais il déclare que jamais jusque alors on n'a pu imiter les vins de Bourgogne, et que le sucrage n'a. jamais eu pour but d’en faire de toutes pièces, mais bien d'améliorer sous tous les rapports des produits non seulement sans valeur, mais qui souvent peuvent être nuisibles à la santé, ou tout du moins un embarras pour le producteur. En somme, ce n'est pas le sucrage des vins qui a perdu leur réputation, mais bien l'abus qu'on en a fait. Seulement, dit en terminant ce savant chimiste, j'ai recommandé l'usage du sucre pur et bien fait, et à dose convenable, pour rétablir la densité normale du moût, en l'employant avec des précautions convenables. Mais qu'a-t-on fait ? On a sucré à tort et à travers, dans les bonnes comme dans les mauvaises années, les mauvais vins pour les rendre bons, et les bons pour les rendre meilleurs.
M. DE VERGNETTE. A tort ou à raison, le sucrage a porté atteinte à la réputation de la Bourgogne : c’est à ce procédé qu'on attribue les maladies plus fréquentes de nos vins et la préférence accordée à des produits avec lesquels ils marchaient de pair autrefois. Le chauffage mal appliqué, toujours sans méthode, a détruit tout cet échafaudage de perfectionnement, et de là nos malheurs.
M. MOLLERAT. C'est encore un des inconvénients de la pratique non raisonnée. Il ne faut pas dire que le chauffage a perdu nos vins, mais dire au contraire que la faute tout entière doit être attribuée à la manière irrationnelle dont il a été appliqué, et en général au peu de soins qu'on a mis à conduire toutes ces opérations.
M. POULET-DENUIS reconnaît qu'on a fait abus du sucrage et du chauffage : c'est donc dans l'intérêt de la Cote d’Or qu’on doit en bannir la pratique et appeler une réaction complète.
M. SAUZEY ne partage pas l’opinion des adversaires absolus du sucrage. Nos vins du Beaujolais, souvent de mauvaise qualité, ne trouvaient de consommateurs que dans la localité ; mais, depuis l’emploi du sucre, ils concourent avec avantage à l'approvisionnement de Lyon. Je ne suis pas contre l'emploi du sucre, mais contre les abus que son usage a pu introduire.
M. LECLERC regarde comme une véritable falsification l'emploi, l'addition, l'introduction dans le vin, de toutes substances étrangères.
M. POULET-DENUIS fait remarquer que, dans la discussion qui s'est engagée de nouveau sur une question déjà résolue, on n'a pas répondu aux objections précises qu'il a formulées à la séance précédente ; que la question n'était pas de savoir si, ainsi qu'on l'avait dit, le sucrage des vins était fait avec plus ou moins de discernement, et si les vins d'un ordre inférieur étaient améliorés par ce procédé ;
Que l'usage de sucrer les vins était depuis assez longtemps pratiqué pour admettre que tout le monde était également apte à le faire dans les meilleures conditions ; qu'il ne contestait pas que des vins qui n’étaient pas bons puissent être améliorés par l’emploi du sucre, mais que, tout en admettant ce résultat, son opinion en était d'autant plus fortifiée contre le système de sucrer les vins, et qu'il y puisait un argument qui lui paraissait sans réplique : car enfin, a-t-il dit, tout le monde est d'accord sur ce point, qui n'est au reste pas contestable, à savoir, que si, pour les bons vins et dans les bonnes années, toute addition de sucre les dénature et leur est contraire, dans quel but chercherait-on à améliorer des vins, soit d'une mauvaise année, soit d'une qualité inférieure, si ce n'est pour les replacer dans un ordre qui ne leur appartient pas ?
Si la Bourgogne veut conserver le rang élevé qui lui a été départi par la nature de son climat, l'excellence de ses produits, il faut qu’elle s'efforce de conserver, de maintenir ses meilleurs types dans chacun de ses incomparables climats.