PIÈCES
B. – Opinions émises au Congrès des vignerons de
Dijon
sur le sucrage des vins.
«
Nous nous proposions d’abord de ne donner que des analyses
de ces intéressantes discussions; mais, comme on aurait pu nous
accuser d'affaiblir les arguments des uns ou de mettre trop en relief
les arguments des autres pour les besoins de notre cause, nous avons
préféré publier dans leur entier les discussions
du Congrès, telles qu'elles se trouvent consignées dans
la publication officielle de ce corps savant. Il est bien entendu qu'en
faisant cette publication nous n'acceptons pas la responsabilité
des faits scientifiques ou industriels qu'elle renferme, cette responsabilité
appartenant aux auteurs qui les ont énoncés»
DUBRUNFAUT.
Opinion de M. Isidore Roze, secrétaire du Comice de Tonnerre.
A
défaut de MM. Jolivot, Siraudin, Berthier de Viviers et Quignard,
membres distingués de notre Société d'agriculture
et d’industrie, et délégués par elle près
de vous, mais empêchés par des raisons d’affaire
ou de santé, je viens me réunir à M. Lécourt
de Béru, et vous offrir le faible tribut de quelques observations
sur les causes et les conséquences de l'introduction du sucre
et de l'alcool dans les vins, et sur notre vinification particulière.
Pour ma part, je remercie nos collègues MM. Mollerat, Varembey,
Delamotte, Delarue et Bonnet, de leurs dissertations lumineuses sur
l'action des substances introduites dans le moût, leurs résultats
aux différents âges du vin, et leurs effets digestifs ou
hygiéniques.
Ennemi des mélanges et de tout ce qui peut altérer la
pureté des meilleurs fruits de la vigne, je ne prends pas cependant
dans un sens absolu votre condamnation du sucrage, voire même
de l'alcoolisation, et je pense que vous permettez d'améliorer
un produit inférieur, de suppléer à ce que la nature
n'a pas fait, à ce qu'elle a été empêchée
de faire par des intempéries.
L'excellence de l'art ne consiste-t-il pas dans l'imitation de cette
nature en ce qu’elle a de bon ?
Or, dans une année où la maturité est incomplète,
le raisin attaqué de pourri, de moisi, la vendange mouillée,
quand la fermentation, que vous voulez prompte et décisive, est
paresseuse, inerte, menace de devenir acescente, putride, vous ne défendrez
pas à l'art, à la science, de venir à son secours,
de l’aider, de l'activer, d'enlever au moût ce qui peut
lui nuire, de lui donner ce qui lui manque, ou au moins partie de ce
qui lui manque : car leur puissance ne va pas à faire aussi bien
que la nature ; ce serait arriver à la perfection de son auteur.
Un habile œnologue du Tonnerrois, feu M. Léorrier, l'un
des fondateurs les plus éclairés de notre Société,
a suivi plusieurs années, en les observant et notant attentivement,
les particularités de la vendange et de la fermentation à
l'air libre et à cuve close simultanément ( il a préféré
le dernier procédé, dès long-temps usité
par nos pères, et continué parmi nous).
Il a expérimenté avec succès, sur des récoltes
inférieures ou faites dans des conditions défavorables,
le plâtre, la chaux, le noir animal, le sucre, comme absorbants
des parties aqueuses, putrescentes, hétérogènes,
ou comme fortifiants de la liqueur:
Ces pratiques, quoique imitées, présentent néanmoins
peu d’intérêt chez nous ; mais dans d'autres vignobles
elles peuvent en avoir davantage.
Ce qu'on trouve de mieux à faire dans le Tonnerrois, où
dominent surtout les pineaux noirs et blancs (comme on le voit au tableau
synoptique du vignoble dressé par le Congrès, établi
sur la statistique de M. Despréaux, c'est de donner beaucoup
de soins à la vendange, de mettre de côté pour les
piquettes tout raisin vert, pourri ou altéré par une cause
quelconque ; de choisir le fruit le plus sain, de l’égrapper
au tiers, à moitié ou au trois quarts, selon le plus ou
le moins de maturité, de le triturer par le foulage, de le couvrir,
en activant la fermentation, dans les années froides, par du
moût chaud, parfois sucré ; puis, quand la liqueur disparaît,
quand le chapeau descend et le moût se refroidit, de tirer et
pressurer.
La plupart, et surtout vignerons et tonneliers, égrappent peu,
foulent et refoulent jusqu'à complet refroidissement, tirent
ferme, à la recommandation du commissionnaire et sous l'empire
du préjugé, que, fait ainsi, le vin se conserve mieux.
Cette dureté, plus sensible dans les crus où règne
le lombard ou gros plant, très estimable d'ailleurs, appelé
le médecin des cuves, et qui affecte les qualités du Bordeaux,
est heureusement adoucie par le mélange du Beaunois. Tirés
plus tendres, ces produits mélangés font les ordinaires
les plus agréables. Tirés de même, encore chauds
et en liqueur, les vins fins sont plus moelleux, plus légers,
plus délicats, et ne se gardent que mieux. Telles sont les qualités
de nos vins gris, faits sans pressurage, après 24 heures de cuve.
En bonne année, arrière le sucrage, auxiliaire admissible
et peut-être nécessaire en d'autres vignobles, mais employé
seulement comme remède dans le nôtre pour les cas désespérés,
afin de rendre potable et marchand ce qui, sans cela, ne l'aurait pas
été.
Ne craignons pas que de telles additions, faites avec discernement et
prudence, nuisent à notre réputation, qui s'établit
seulement sur les grandes années, où les vins se classent
et prennent chacun le rang qui leur appartient. Alors c'est folie de
vouloir améliorer la perfection.
On l'a tenté cependant ; on a augmenté la vinosité,
la couleur et le corps, aux dépens de la finesse, de la limpidité
et du bouquet ; la fraude s'est efforcée, par des moyens factices,
d'élever des crus inférieurs à la hauteur des premiers
crus, qui précisément s'abaissèrent à leur
niveau par les mêmes moyens. L'antique renom de la Bourgogne en
a été sensiblement affecté. C’est aussi le
mal de la Champagne, par l'emploi de vins faibles mis en mousseux à
l'aide du sucre et de l’eau-de-vie.
La Commission de Beaune, dont nous entretiendra l’honorable M.
Poulet, composée des premiers négociants et propriétaires
de cette ville, a fait acte de sagesse et de patriotisme en proscrivant
ces procédés. Puisse-t-elle prévenir le retour
du mal, et borner la chimie à la bonne conduite, à la
conservation de nos vins, à l'expression naïve de leurs
qualités !
D'où vient cette épidémie qui a terni les plus
beaux fleurons de nôtre couronne ? Du commerce ? II n'est que
l'Intermédiaire souvent aveugle du producteur trop docile et
du consommateur plus grossier, ou des exigences de bon marché,
de la vanité qui veut du velours, fût-il de coton au lieu
de soie, qui veut du chambertin la vigueur, la couleur et l'étiquette.
[Note de Dubrunfaut : C’est un partisan du
sucrage qui s’exprime ainsi : on voit donc que les griefs de M.
Roze s’appliquent uniquement à l’abus du procédé.]
Opinion de M. Mollerat.
Demeurant
à Paris en 1797, dit le savant chimiste, j'eus l'occasion de
m'occuper de vins, et surtout de la fermentation en général
; sans être chimiste, j'étais, par mes relations de société,
en contact avec tous les savants de cette époque.
La question des vins, celle de la fermentation, étaient souvent
agitées ; j'appris qu'on pouvait, dans les mauvaises années,
suppléer à la pauvreté du moût par du sucre.
Je fis part de ce système à mes frères, propriétaires
de quelques grands crus à Nuits. On écouta mes conseils,
et l'on s'en trouva bien tant que l'on voulut se maintenir dans de justes
proportions. De proche en proche on nous imita ; mais un peu plus tard
le prix excessif du sucre en fit restreindre l'usage. Je crus pouvoir
le remplacer en ajoutant de l'alcool dans les vins; mais les mauvais
résultats obtenus m'en firent abandonner l'usage.
En effet, l'alcool, mis dans le tonneau, précipite le ferment
dissous par les acides végétaux contenus dans le vin ;
mis dans la cuve, il arrête la fermentation par le même
motif. Puis on remarqua que ces vins ainsi additionnés se décoloraient
promptement, vieillissaient plus vite que ceux qui n'avaient point reçu
d’alcool.
J'avais alors acquis les connaissances chimiques nécessaires
pour pouvoir créer la manufacture de Pouilly ; j'avais fini mes
recherches sur l'acide acétique: cette étude m'avait conduit
naturellement à examiner complètement la fermentation
alcoolique. Forcé d'abandonner le sucre de canne et l'alcool
pour enrichir les moûts trop pauvres, je crus devoir rechercher
si la nature ne pouvait pas produire un sucre identique à celui
de raisin,
J'avais eu occasion de connaître certain produit de la pomme de
terre et le sucre que donnait sa fécule. En 1819, j'examinai
ce produit avec cette pensée : faire le sucre de pomme de terre
avec toutes les conditions nécessaires et favorables pour le
rendre identique au sucre de raisin.
Tous les auteurs avaient avancé que 100 parties de fécule
donnaient 104 à 110 parties de sucre. Examinant la constitution
chimique des sucres de raisin et de canne, je pensai que la chose était
impossible. En effet, la pratique ne me donnait que 84 pour 100, quantité
répondant exactement à la composition élémentaire
de la fécule ; et pour obtenir ce résultat, il faut encore
remplir toutes les conditions d'une bonne fabrication : car, pour réussir
complètement, il est des soins indispensables à prendre;
et je dois dire que jusqu'à ce jour ce produit n'a été
bien fait, comme opération commerciale, qu'à Pouilly.
Je le répète, le sucre de fécule parfait est identique
à celui de raisin; il coûte beaucoup moins à produire,
et donne la même quantité d'alcool. Une fois l'identité
des sucres constatée, il fallait les soumettre à l'action
du même ferment, et s'assurer si les produits fermentés
étaient eux-mêmes identiques.
Le ferment ou levure de bierre était le seul que je pouvais employer
; mais cet agent contient un principe amer et un principe aromatique
qui, dans l'état où il est livré par les brasseurs,
doit le faire rejeter de toute fermentation vineuse. Pour le rendre
propre à cet usage, on doit le soumettre à un traitement
qui en élève considérablement le prix. Ce procédé
consiste à laver ce ferment à l'eau, puis à l'alcool,
jusqu'à ce que ces deux agents ne lui enlèvent plus rien
; il faut alors le dessécher complètement, le mêler
soit avec du sucre, soit avec du sable siliceux lavé à
l'acide chlorhydrique. Dans cet état, le ferment est solide,
imputrescible, et réunit toutes les conditions pour produire
une fermentation alcoolique complète, sans donner de saveur désagréable.
C'est dans cet état que je l'ai employé pour obtenir la
fermentation du sucre de raisin et de celui de fécule.
Les produits obtenus ont été identiques sous tous les
rapports ; ils ont donné un vin semblable à celui de Xérès
; et si on ajoute à la fermentation quelques raisins secs muscats
ou de Malaga, on obtient des vins analogues à ces deux espèces.
La fermentation arrêtée, la relation existe entre ces deux
vins. Dans le vin de Xérès, il n'y a plus de fermentation
possible, parce que l'alcool fourni par la quantité de sucre
qui a subi la transformation a été suffisante pour précipiter
tout le ferment. Pour obtenir ce résultat, il faut que la liqueur
mise à fermenter ait une densité égale à
15° : car c'est alors que l’alcool produit est en assez grande
quantité pour précipiter tout le ferment [Note
de Dubrunfaut : cet accroissement de densité est excessif
car, d'après les nombres dignes de foi fournis par M. Vergnette
Lamotte, dans ses précieux et savants travaux sur la vinification,
le maximum de densité des vendanges de Bourgogne correspond à
13°. L’assertion de M. Mollerat quant au ferment permettrait
de croire que la vendange en question aurait autorisé une addition
supplémentaire de sucre avec eau correspondante à celle
qui aurait élevé la densité de la vendange de 2
ou 3° Beaumé.]
Jamais, dit M. Mollerat, je n'ai eu la pensée de donner du parfum
ou du bouquet en ajoutant un principe sucré quelconque à
un vin donné ; j'ai seulement prétendu augmenter sa richesse
alcoolique. Dès 1819, on employa en Bourgogne le sucre de fécule
; il en est résulté des améliorations incontestables,
toutes les fois, je le répète, qu'on est resté
dans de justes bornes.
Quand le moût, par exemple, donne moins de 10° au gluco-œnomètre,
je conseille d'amener ce liquide à une densité qui peut
aller à 15°. Pour obtenir ce résultat, il faut ajouter
3 kilogrammes de sucre par degré manquant et par chaque quantité
de 228 litres de liquide : une plus grande quantité pourrait
nuire, nous dirons tout à l'heure pourquoi. J'ajouterai une chose
importante: dans la fermentation, il faut donner un temps suffisant
au contact du ferment avec la matière sucrée, avant d'arriver
au soutirage.
J'ai remarqué que ce que l'on nomme albumine végétale
dans les fruits et les racines était une matière identique
à celle qui existait dans les fruits sucrés, et qu'elle
jouait le même rôle dans les liqueurs sucrées, en
les faisant fermenter.
Je fus conduit à ce résultat par la série d'expériences
suivante. Je fis râper de la pomme de terre ; on jeta le produit
sur un tamis clair ; le liquide trouble recueilli fut mis dans un flacon
de 12 litres rempli exactement ; il surnagea bientôt au dessus
de la fécule une matière légère et blanchâtre.
Ces deux matières occupaient à peu près dans le
fond du vase le cinquième de la capacité, qu'une liqueur
brunâtre achevait de remplir. La densité du liquide surnageant
était de 4°. Traité par les acides minéraux,
les alcalis, l'alcool, ou une température élevée,
il laissa précipiter une matière semblable à celle
qui surnageait à la surface même de la fécule.
Examinant ce liquide sous un autre point de vue, je reconnus qu'il était
acide, et que, comme acide végétal, il tenait en dissolution
le ferment, comme il arrive dans les fruits en général.
Plus tard, l’examen des fruits me donna le même résultat,
c'est-à-dire que leur ferment est précipité par
l'acide sulfurique, par l'alcool, par la chaleur, et que les acides
végétaux le dissolvent sans l'altérer.
Pour bien connaître la loi qui régissait cette réaction,
j'ai placé dans une bassine d'eau chauffée progressivement
une série de flacons contenant la liqueur acide filtrée
provenant du râpage de pomme de terre, marquant 4° de densité,
et parfaitement limpide. L'élévation continue de température
a fait précipiter de l'albumine, dont j'ai mesure l’importance
croissante en retirant de la bassine un flacon à chaque 10 degrés
d'élévation de température, dont j'ai filtré
la liqueur pour en séparer le précipité ; puis
ajoutant à cette liqueur, devenue limpide, une quantité
suffisante d'alcool, environ le double de son volume, qui a précipité
toute l'albumine ou ferment que son acide tenait en dissolution.
En continuant à agir de la même manière sur chaque
flacon que je retirais de la bassine à chaque augmentation de
10 degrés de température, j'ai vu successivement diminuer
la quantité de ferment par addition d'alcool dans les liqueurs
filtrées, de manière que l'épuisement complet du
ferment s'est montré au 65° degré de Réaumur
au dessus de 0 par la limpidité de la liqueur, même après
l’addition ordinaire d'alcool. Ces opérations furent faites
en 1822.
Le même jour, je fis écraser des pommes. Le suc trouble
fut jeté sur une toile. Le produit limpide obtenu, il est resté
sur le filtre une poudre analogue à celle qui surnageait dans
le flacon de fécule. En effet, ce liquide clair a donne les mêmes
phénomènes que celui provenant du râpage de la pomme
de terre et surnageant la fécule.
La matière blanche et légère, dite albumine, qui
occupait la place au dessus de la fécule dans le flacon de 12
litres contenant le produit des pommes de terre râpées,
a été mise, dans diverses liqueurs sucrées, à
l’étuve : la fermentation s'est manifestée de suite,
et s'est conduite jusqu'à la fin exactement comme dans les expériences
de Ia même espèce où j'avais employé le ferment
de bierre convenablement nettoyé. La matière dite albumine,
résultat des précipitations obtenues de la liqueur de
pommes de terre, soit par l'élévation de température,
soit par l'addition de l'alcool, mise dans des liqueurs sucrées
à l’étuve, a produit la même fermentation
que celle recueillie au dessus de la fécule dans le flacon de
12 litres, ou que le ferment de bierre. L'époque de la vendange
arrivée, je fis écraser des raisins. Le suc trouble fut
traité comme l’avait été la pomme de terre
râpée, et comme le suc de pommes : il donna les mêmes
résultats, c’est-à-dire du ferment en poudre, outre
celui tenu en dissolution dans l'acide du fruit. En un mot, tous deux
étaient propres à faire fermenter les matières
sucrées. La nature a donc mis dans les fruits de sucre, du ferment
et un acide, et ce dernier a la propriété de tenir le
second en dissolution sans le décomposer.
Mais ordinairement chaque fruit, et plus particulièrement le
raisin, contient plus de ferment que la quantité d'acide n'en
peut dissoudre, et c’est cet excès de ferment qui constitue
la matière solide en suspension contenue dans le liquide.
Lorsqu’il y a assez de sucre et assez de ferment dissous dans
un liquide, chaque molécule de ce dernier entre en contact avec
une molécule de sucre, agit sur elle, en opère la transformation
en alcool, et le ferment décomposé devient inerte et insoluble;
il tombe alors à l'état de poudre, et constitue la lie.
L'acide, alors, agissant sur le ferment en suspension, en dissout une
nouvelle quantité ; l'action sur le sucre recommence, la fermentation
continue : il y a formation d'alcool et nouvelle précipitation
de matière inerte. Enfin, la fermentation cesse lorsqu’il
n'y a plus de ferment dans la liqueur, quand même elle contiendrait
du sucre, ce qui a souvent lieu ; et cependant l'acide reste dans la
liqueur.
C’est la présence constante de cet acide qui distingue
les vins produits sous la zone de température modérée,
qui leur donne, si je puis m’exprimer ainsi, la saveur d'une limonade
alcoolique agréable.
Il faut donc qu’il y ait toujours dans le moût assez de
sucre pour fournir l’élément convenable a la destruction
complète du ferment qu’il contient, soit par sa décomposition
par le sucre, soit par sa précipitation par l'alcool, dont la
quantité augmente dans la liqueur à mesure que le sucre
est décomposé par la fermentation, puisqu’il a la
faculté de chasser le ferment contenu dans une liqueur, sans
même le décomposer ; autrement, celui qui resterait dans
le liquide nuirait infailliblement à la qualité du vin,
en le prédisposant à une suite de fermentation, et même
à la fermentation putride. Voilà donc pourquoi il est
si utile d’ajouter du sucre dans le moût quand la maturité
du fruit n'a pas été complète.
Les vins de la zone méridionale restent sucrés, quoique
étant cependant très alcooliques.
Ils doivent cet état : 1° à la densité trop
élevée du moût, densité due à une
trop grande quantité de sucre, en un mot à plus de 15°
du gluco-œnomètre ;
2° A la maturité complète du fruit, qui a détruit
une partie de l'acide dans le suc de raisin.
Le ferment est à l'état de poudre tenue en suspension
dans le moût des raisins de ces pays; il agit sur le sucre du
moût de la même manière que celui des brasseurs mis
en contact avec le sucre de fécule ou de raisin, pour donner
des vins riches en alcool, mais sans parfum spécial, et contenant
d’ailleurs beaucoup de sucre non décomposé. Ces
vins ont une durée indéfinie ; mais ils ne sont pas vifs,
et déplaisent quelquefois à cause de leur saveur sucrée.
Mais combien il serait facile de faire dans ces pays favorisés
par le soleil des vins vifs comme ceux des zones plus tempérées
! il suffirait d'aider un peu la nature, comme elle doit l’être
souvent, pour obtenir de bons résultats.
Ainsi là les raisins complètement mûrs manquent
de ferment et d'acide pour le dissoudre, afin de décomposer tout
le sucre qu'ils contiennent dans un liquide dont la trop grande densité
nuit à la fermentation : il suffirait donc de changer cet état
pour obtenir des vins vifs. Il faut pour cela cueillir les raisins avant
leur complète maturité : alors ils contiendront plus de
ferment et plus d’acide pour le dissoudre, et aussi moins de sucre
à décomposer. Enfin, si le moût est plus dense encore
que 14 à 15°, il faudra le ramener à ce degré
en ajoutant de l’eau : alors la fermentation produira d'excellents
vins, fins et vifs.
Après avoir ajouté du sucre de fécule ou du sucre
de raisin, ou enfin tout autre principe sucré se rapprochant
autant que possible de la constitution chimique du sucre de raisin ou
de fécule, il faut changer quelque chose aux habitudes de la
vendange. Il faut d'abord avoir soin que la température des cuveries
soit suffisamment élevée pour que les fermentations soient
promptes et régulières ; il ne faut pas non plus descendre
trop tôt les vins sortant de la cuve dans des caves froides :
car la fermentation, quoique plus lente, doit se continuer encore longtemps,
tandis que la température froide des caves arrête sa marche
active. La tranquillité de la liqueur favorise alors le dépôt
des matières qu'elle tenait en suspension ; et non seulement
la fécule colorée, mais encore le ferment en poudre, gagnent
le bas du tonneau, et forment la lie, qui contient l'élément
précieux qui devrait être reporté de nouveau dans
le liquide, pour y continuer la décomposition des molécules
du sucre. Loin de là, on ôte souvent les vins de dessus
cette lie précieuse, sous prétexte qu’ils sont clairs,
tandis qu'il conviendrait de les troubler avec cette lie, afin de continuer
la fermentation. Dans ce cas, il reste du sucre non décomposé,
et du ferment en poudre qui aurait pu, par son contact avec l’acide
du vin, acquérir la propriété de rétablir
la fermentation. Cependant il est des limites auxquelles on doit s’arrêter.
Il ne faut pas que tout le sucre soit converti en alcool ; il faut qu'il
en reste un peu à l'état de non-transformation. Dans cet
état, le vin devient gracieux et d'une finesse extrême.
D'après ce que nous venons de dire, on voit qu'il ne faut pas
soutirer en mars lorsqu'il y a eu addition d'un principe sucré
quelconque, et qu'on n'a pas pris les précautions nécessaires
pour que le sucre soit entièrement décomposé par
la fermentation : car cet élément ajouté dans le
vin doit nécessairement déterminer une prolongation de
fermentation qui, si elle n'est pas dirigée convenablement, amène
la ruine des vins.
Si l'on veut avoir des vins arrivés promptement à l’état
disponible, c'est-à-dire dont la fermentation soit terminée,
il faut établir des étuves, des calorifères, pour
tenir la cave à une température telle que la fermentation
puisse se continuer jusqu'au mois de mars (15 à 16° R.).
Les vins traités par ce procédé se sont constamment
bien gouvernés, tandis que les vins descendus trop tôt
dans une cave froide ont continué leur fermentation en cave comme
en voyage.
Les vins tout à fait nouveaux n'ont point de bouquet, quelle
que soit l’excellence de leur cru. Cette précieuse qualité
se développe à mesure que le vin se dépouille de
l'excès de matière colorante. Il est d'abord violacé,
plus rouge, enfin mordoré. C'est pendant ce travail que les vins
périssent ordinairement ; mais c'est alors aussi que le vin arrive
à sa perfection, et qu'il porte un parfum qu'on est convenu de
nommer bouquet, variable suivant les sols qui ont produit ce vin. Ce
parfum est une espèce d'éther qui s'est formé lentement
par le contact de l'acide, de l'alcool et de la résine odorante
qui existe, surtout dans le vin rouge, avec la matière colorante,
sous la peau du raisin, à laquelle elle adhère assez pour
qu'il faille le concours de l'alcool produit par la fermentation pour
l'en détacher et la dissoudre.
Cette formation d'éther parfumé est retardée et
masquée par la trop grande quantité de matière
colorante, qui ne quitte le liquide que lorsqu'elle est suffisamment
oxygénée, pour devenir solide et descendre à l'état
de lie.
La trop grande quantité d'alcool, comparativement surtout à
la quantité d'acide dans le vin, retarde encore la formation
de l’éther parfumé, puisqu'un des éléments
nécessaires à sa formation n’est pas en quantité
suffisante pour agir activement sur l'autre.
C'est ce qui a fait dire que les vins trop enrichis par l’alcool
manquent de parfum, ce qui est vrai ; mais cette observation a pu être
faite aussi sur des vins des années riches de maturité
; à ceux-là, comme aux vins artificiellement trop sucrés,
il faut plus d'années pour arriver à leur perfection de
saveur et de bouquet. C'est donc une grande faute que de faire tant
d'efforts pour obtenir l’extrême coloration des vins par
des foulages nombreux et un trop long séjour dans les cuves,
puisqu'on retarde le moment de leur perfection, et qu'on a couru le
risque de les perdre.
Ou a toujours joui plus tôt de l'excellence des vins légers,
soit par leur fabrication, soit par la nature de leur climat, ou bien
même par la moins grande richesse végétative de
l'année.
Cependant les vins forts ont les éléments qui produisent
le bouquet ; ils arrivent aussi, mais plus tard, à leur perfection,
parce qu'ils ont un travail plus long à faire pour atteindre
ce but, et ces vins sont aussi plus durables, précisément
à cause de leur richesse. Je connais du Richebourg 1832 qui,
au bout de 14 ans, commence à montrer son excellent parfum.
J'ai avance tout à l'heure que c’était à
la matière colorante et à la matière résineuse
attachée à la peau du raisin qu'étaient dues les
maladies et souvent la ruine des vins pendant qu'ils se dépouillaient
de l'excès de la première de ces deux matières,
et que c'était à la seconde qu’ils devaient leur
bouquet.
Les vins blancs justifient cette proposition : ils ont en général
peu de bouquet, et ce qu’ils en doivent avoir se montre dès
la première année. Les raisins blancs, portés de
suite au pressoir sans passer à la cuve, n’ont point de
fermentation préalable qui doive détacher la fécule
de l’enveloppe du fruit, conséquemment point ou peu de
dépouillement à taire pour montrer leur parfum. Aussi
la solidité des vins blancs est à peu près universelle
; mais la plus parfaite épreuve résulte des vins blancs
produits par des raisins rouges exprimés avec précaution
pour n'avoir point de matière colorante, comme cela se pratique
dans la fabrication des vins mousseux. Ce sont des liqueurs à
peu près sans parfum, quoique provenant de vignes dont les vins
mis en rouges sont d'une durée indéfinie, parce qu'ils
n'ont pas les embarras du dépouillement d'une matière
colorante a subir.
On se tromperait beaucoup si on prétendait rendre service à
un vin fortement coloré en le soutirant et en le collant souvent,
sous prétexte de l’aider au dépouillement d'une
partie de la matière colorante : ces deux opérations,
soutirage et collage, dépouillent, il est vrai, mais rudement,
le vin, non seulement de la matière colorante, mais encore du
tannin, du ferment et d'une partie de la résine odorante, toutes
matières tenues dans la liqueur, et qui devaient à la
longue amener l'excellence du vin. La privation qu'on lui a fait subir
de ces éléments a amené le vin, on en convient,
à un terme plus prochain ; ce terme a été atteint
en le desséchant et en l'amaigrissant, au lieu d'avoir laissé
agir la nature lentement sur lui, ou de l'avoir aidée seulement
pour la faire agir plus vite, soit en élevant la température
pour aiguiser l’action des éléments les uns sur
les autres, soit en le soumettant à un léger mouvement
continuel, qui favorise également l’action dont j'ai parlé
plus haut, comme on le voit par les vins de Bordeaux, qui se dépouillent
plus vite et mieux dans les voyages de long cours sur mer, pendant lesquels
ils ont éprouvé et l’élévation de
température et le mouvement continu.
Les principes que nous venons de reconnaître constituent les vins
en général ; mais la nature a ajouté, dans chaque
climat, d'autres principes auxquels les vins doivent leurs qualités
spéciales. Parmi ces principes, nous citerons l'acide, les sels
et le tannin. Les sels se précipitent par le repos, le temps
ou la présence d'une certaine quantité d'alcool.
Les vins durs, même après avoir été long-temps
gardés, doivent cette qualité au tannin. C'est ce principe
trop abondant qui masque dans les vins de Bordeaux l'alcool, qu'ils
contiennent en aussi grande quantité que celle de Bourgogne ;
il concourt, avec la matière colorante, à masquer le bouquet
dans ces mêmes vins : le temps. les voyages, peuvent seuls précipiter
ce principe, et faire arriver ces vins à leur état de
perfection.
Opinion de M. Poulet-Denuys de Beaune.
Sans
vouloir suivre son ami le savant et très honorable M. MoIlerat
dans la brillante exposition qui vient d’être faite, il
désire faire connaître au Congrès les motifs qui
ont déterminé le comité des propriétaires
et négociants en vins de l'arrondissement de Beaune à
se prononcer d'un manière tout à fait absolue contre le
sucrage des vins.
Après avoir rappelé combien le système préconisé;
par un savant de premier ordre, Chaptal, il y a une vingtaine d'années,
et adopté depuis assez généralement, avait été
funeste à la Bourgogne en portant atteinte a la réputation
de ses vins, M. Poulet a surtout fait ressortir les graves inconvénients
qui en résultaient.
Ainsi, ajoute M. Poulet, on ne contestera pas que le sucrage des vins
a pour résultats fâcheux :
1° De dénaturer complètement les vins de Bourgogne
en leur enlevant ce que ces vins ont de plus précieux, de plus
parfait, leur incomparable bouquet, et aussi leur délicatesse,
qui est leur véritable type ;
2° De les enrichir de manière à augmenter considérablement
leur richesse alcoolique, ce qui, en les rendant plus spiritueux ou
plus échauffants, en a singulièrement fait restreindre
l'usage ; tandis que dans leur état naturel, tels, en un mot,
qu'on les récoltait autrefois, il est constant qu'ils ne contiennent
pas plus d'alcool que les vins de Bordeaux avec lesquels ils peuvent
lutter pour la solidité ;
3° D'entretenir dans les vins un principe, une disposition à
la fermentation tout à fait contraire à leur bonne conservation.
M. Poulet a en outre signalé, comme une circonstance tout à
fait capitale, l'impossibilité absolue de distinguer, en primeur
et pendant au moins la première année, dans les vins sucrés,
non seulement la nuance de qualité qui leur appartient, mais
même celle du climat d'où ils sortent ; de telle manière
qu’étant obligé de les acheter de confiance, il
peut arriver assez fréquemment d'admettre, en primeur, comme
vins de premier ordre, des vins d'une qualité secondaire.
C'est en raison de ces considérations, dit en terminant M. Poulet,
que le comité de Beaune avait été unanime pour
reconnaître que le sucrage des vins de Bourgogne devait être
à l'avenir complètement abandonné, et a adopté
le rapport qui suit :
Le vin, considéré chimiquement, est une dissolution, dans
un alcool très étendu d'eau, de sels divers, d'acides
végétaux, de mucilage, de tannin et de matière
colorante.
L'eau seule, abandonnée à elle-même au contact de
l’air, entre promptement en décomposition.
L'alcool, les sels, les acides, le tannin, le sucre, sont les principes
auxquels on doit la conservation de toutes les préparations végétales
et animales destinées à l’alimentation de l'homme
ou à ses usages.
Le vin présente dans sa composition, à des doses diverses,
tous ces principes de conservation.
L’industrie et la science ont inventé de suppléer,
par différentes additions, à ce que la nature refusait
au vin dans certaines années. De là s'est propagé
l'emploi de l'alcool, du tannin et du sucre.
Le tannin, sous forme de teinture de cachou ou de tannin pur, est principalement
employé par le Bordelais et la Champagne ; le sucre l'est plus
particulièrement par la Bourgogne ; l'alcool, par les falsificateurs
des grands centres de population.
Chaptal, qui était né dans le Midi, et, comme tel, n'estimait
le vin qu'en proportion de sa force alcoolique a considéré
l’alcool comme le principal élément conservateur
des vins, et c'est sur cette base qu'ont été élevés
les tristes éléments de vinification qui nous régissent
encore aujourd'hui.
Avant Chaptal, nos raisins, vendangés plus tôt, et par
conséquent dans de meilleures conditions de température,
étaient plus riches en sels, en tannin et en acides : car on
sait que, par l'effet de la végétation, ce sont les acides
qui se transforment en matières sucrées et en mucilage
par une déperdition d’oxygène.
Depuis Chaptal, on a cherché à obtenir une maturité
qui rapprochât nos raisins des raisins plus sucrés des
pays méridionaux.
Quand la maturité n'a pas paru suffisante, on a ajouté
au moût, ou au vin nouvellement tiré de la cuve, différentes
sortes de sucres, en diverses proportions.
Que le sucre ait été additionné au moût de
la cuve ou au vin décuvé, il subit les mêmes transformations
; seulement, s'il y a moins de perte quand on chaptalise ou procède
le vin au tonneau, la fermentation du liquide se prolonge davantage.
Qu’il s'agisse des sucres raffinés, des sucres bruts de
canne, ou des sucres de fécule, les corps nouveaux qui naissent
de leur décomposition dans la cuve sont à peu près
les mêmes [Note de Dubrunfaut : Ceci est une erreur matérielle,
et les sucres employés en Bourgogne avant 1845 ont été
le plus souvent des résidus de raffinerie fort impurs, et par
là même fort impropres à un bon sucrage. M. Poulet,
en attribuant ici des résultats fâcheux au sucrage, fait
cependant une distinction en faveur des sucres autres que le sucre fécule.].
Toutefois, les sucres de fécule sont ceux qui ont donné
les plus fâcheux résultats.
Le sucre ajouté au vin ne produit pas le même effet, suivant
qu’il est employé à faible ou à haute dose.
La dose ne dépassant pas 2 kilogrammes par pièce de 228
litres, il arrive qu’il existe dans le raisin assez de ferment
pour que toute la matière sucrée (naturelle ou artificielle)
de la cuve soit décomposée. Quand le sucre a entièrement
fermenté, il augmente la proportion d'alcool du liquide.
A haute dose, dépassant 10 kilogrammes par pièce de 228
litres, la plus grande partie de la matière sucrée reste
dans le vin à l'état de sucre, et la dissolution, chimiquement
parlant, pourra se comporter comme les sirops.
A dose intermédiaire de 2 à 10 kilogrammes par pièce
de 228 litres, il y aura toujours incertitude sur la manière
dont le sucre aura agi. Dans ce cas, il est probable qu'il sera resté
dans le vin une portion de sucre non altéré, Il se comportera
donc comme un liquide riche en alcool et en matières sucrées
non décomposées.
La coloration des vins s'obtient comme toute teinture dont le but est
de fixer les matières colorantes sur certaines substances. Dans
la cuve, on retrouve la substance à teindre, qui est l'eau ;
le mordant, qui est le bitartrate de potasse ; enfin, la matière
colorante, qui est contenue dans la cellule du grain, et ne devient
soluble que par la présence de l'alcool.
Comme on a remarqué que certains vins de qualité offraient
une teinte plus prononcée, on a cherché, dans le but de
donner à nos produits un aspect plus flatteur sous ce point de
vue, à augmenter la couleur du vin. En élevant le degré
alcoolique par l’addition du sucre, on a aidé à
la dissolution de la matière colorante, et, en réalité,
donné au liquide une couleur plus riche et plus veloutée.
La fermentation de toute matière sucrée donne, entre autres
produits, un corps hydrogène analogue aux huiles essentielles,
et particulier pour chaque espèce de sucre. Cette substance imprime
au vin une saveur âcre et pénétrante, qui se prononce
surtout au moment de la déglutition.
Ainsi, en résumé, au premier examen, les vins sucrés
ont plus de parties alcooliques, plus de moelleux, plus de couleur,
sont, en un mot, plus marchands, et n'ont contre eux qu'une saveur particulière
dont la sensation se détermine surtout à l'arrière-gorge.
Voyons maintenant ce que deviennent ces qualités.
Les vins chaptalisés, dans lesquels tout le sucre a subi la fermentation
alcoolique, étant très spiritueux, agissent d'une manière
énergique sur l'économie animale, et peuvent être
très préjudiciables à la santé. Le consommateur
n'est point long à s'en apercevoir ; il en modère d'abord
l'usage, plus tard il le quitte entièrement.
Les vins vinés par l’addition en nature de l'alcool ont
une action encore plus funeste sur les voies digestives, l'alcool pur
se comportant dans le canal alimentaire comme les poisons inorganiques,
qui se combinent avec les membranes muqueuses.
Les vins sucrés à haute dose se rapprochent des vins du
Midi, flattent agréablement le palais quand ils sont vieux ;
on en boit avec plaisir un premier verre, mais on est vite arrivé
à la satiété. Ce cachet étranger imprimé
à nos vins contribue donc encore à en diminuer la consommation.
D’ailleurs, comme le tannin et le bitartrate de potasse sont moins
solubles dans un liquide très chargé d'alcool que dans
un vin qui n’a pas été sucré, il en résulte
qu'on a éliminé du produit chaptalisé certaines
portions des substances qui entrent dans la composition du vin et concourent
à sa conservation ; ce qui nous explique encore pourquoi les
vins procédés ont moins de bouquet et doucinent plus que
ceux qui ne Ie sont pas.
On sait, en outre, que 100 parties de sucre en poids donnant 51,34 d'alcool,
et en volume 64,89 d'alcool à 0,79 ; mais 62,89 d'alcool à
0,79 correspondent à 70,50 d’alcool à 0,82.
En admettant 12,00 pour moyenne de la vinosité des vins de Bourgogne,
le moût correspondant doit être chargé de 17 % de
sucre ; d'où l'on conclut que 3 kilog. 24 de sucre par pièce
de 228 litres augmentent la vinosité de 1 %. Les vins chaptalisés
à 6 kilog. 50 par pièce de 228 litres sont donc portés
à 14 % d'alcool. Les vins de Lunel et d'autres vins du Midi n'en
contiennent pas une plus forte proportion. L'excès de matières
colorantes que l’on a introduites dans le vin dans le but de lui
donner un aspect plus flatteur n'a point trouvé dans le suc du
raisin trop mûr assez de mordant pour les fixer d'une manière
stable sur l'eau de dissolution. Cette couleur se comporte donc comme,
en teinture, se comportent toutes les teintes fugaces : le vin se décolore
sans cesse, et cette séparation continue de matières colorantes
entretient dans sa masse un dépôt floconneux permanent
qui nuit d’abord à la limpidité du liquide, et peut
ensuite contribuer à y déterminer une fermentation maladive.
La saveur âcre et pénétrante qui se manifeste à
la déglutition de tout vin sucré détruit et au
delà la sensation agréable qui a pu résulter du
premier contact des houppes nerveuses du palais avec un liquide corsé
et moelleux.
Enfin, comme les vins sucrés demandent à être vieux
pour obtenir plus de fondu, on les a chauffés, dans le but d'en
hâter la fermentation ; et on ne s'est pas préoccupé
de ce fait, que toute fermentation secondaire d'un produit alcoolique
qui s'établit à une température de 30 à
35° cent. donne nécessairement de petites quantités
d'acide acétique, et transforme une partie du sucre en mannite,
qui est une substance moins oxygénée.
Mais si maintenant nous voulons examiner ce qui peut résulter
de fâcheux pour la santé des vins du mélange des
vins procédés avec les vins non procédés,
on n’hésitera pas à attribuer à cette cause
une partie de leurs maladies.
Quelques propriétaires, sur les demandes du commerce, ont aussi,
dans leur intérêt personnel, eu recours à l'emploi
du sucre pour améliorer leurs vins ; et voici comment ils ont
dû opérer pour l'écoulement de leurs produits. Ils
ont procédé à haute dose leurs secondes cuvées,
en laissant les premiers crus purs de toute addition. Mais, d'après
les errements fâcheux introduits dans le pays, ces vins, trop
spiritueux pour être livrés en nature à la consommation,
ont été plus tard ajoutés aux crus d'ordre, que
l'on a pensé devoir soutenir en les mélangeant à
une faible dose au vin plus riche en alcool des cuvées chaptalisées.
Cette mesure a présenté les plus déplorables résultats.
En effet, que se passe-t-il dans cette opération ? Le vin non
sucré peut contenir un reste de ferment, sans présence
de matières sucrées ; le vin procédé contient
au contraire un excès de sucre sans ferment. En mettant en présence
ces deux sortes de vins, il arrive qu'on obtient un liquide dans lequel
se trouvent tous les éléments d'une fermentation nouvelle,
et on peut être assuré qu'il en résultera souvent
un compose livré à la maladie et à la destruction
: car, dès que les conditions qui ont présidé à
la formation des combinaisons chimiques viennent à changer, les
éléments qui les composent se groupent dans un ordre différent.
Voilà, dans le simple exposé de ce fait chimique, la cause
première de toutes les fermentations secondaires maladives qui
s’emparent si souvent des vins mélangés.
On m’a objecté que les vins, même non sucrés,
fermentaient dans la première année. Oui ; mais cette
fermentation est la suite du travail de la cuve, tandis que la fermentation
des mélanges entraîne à sa suite toutes les conséquences
résultant des combinaisons de corps nouveaux mis en présence
; de plus, tout mélange produit une élévation de
température, et toute élévation de température
aide au développement des affinités chimiques.
On a dit que les Bordelais faisaient chaque jour une redoutable concurrence
à nos vins. Je le comprends, en tant que l’on n’oppose
à leurs produits que des vins aussi spiritueux que les vins chaptalisés.
Mais le jour où l’on aura complètement renoncé
à l'emploi du sucre, pourquoi nos crus déclassés
ne reprendraient-ils par leur rang ? Nos vins ne contiennent pas plus
d'alcool que les vins de Bordeaux ; vendangés dans de bonnes
conditions, ils sont aussi solides qu'eux, et, en fin de compte, ils
leur sont supérieurs à cet endroit, qu'il est inutile,
pour leur donner un cachet de finesse remarquable, de les allonger avec
des produits étrangers. En un mot, nos vins sont complets, et
la Bourgogne, elle, n'a nul besoin de s'aller recruter dans l'Ermitage
ou certains vignobles du Roussillon ou de l’Espagne.
On a encore prétendu que les consommateurs des vins de Bourgogne
demandent des vins plus corsés que jadis, et tiennent moins qu'autrefois
au cachet de finesse qui faisait le principal mérite de nos vins.
Je répondrai que l’emploi du sucre ne remplit pas, à
ce point de vue, le but qu'on se propose, puisqu'il donne soit un vin
très spiritueux, soit un vin sirupeux et empâtant, et que
les Bordeaux, qui nous font concurrence, n'ont aucun de ces caractères.
En vendangeant plus tôt et dans de meilleures conditions de température,
les vignes de bons crus donneront des vins solides, qui présenteront
aux consommateurs les plus délicats les mêmes qualités
que jadis. Aux terrains marneux des coteaux on devra les vins plus corsés
que le commerce recherche aujourd'hui. Enfin, la plaine, qu'une fausse
spéculation a plantée en pineau, sera, par la force des
choses, rendue à sa vraie production, celle du gamay. C'est aux
vins faibles qui proviennent de cette dernière culture, et aux
produits inférieurs des années médiocres, qu'on
doit la propagation de l'emploi du sucre. En effet, la propriété
et le commerce ayant cherché à tirer un parti avantageux
des secondes cuvées de noirien, l'addition au moût de matières
sucrées a semblé devoir résoudre le problème.
Ces vins secondaires, qui n’auraient jamais paru dans le commerce
des vins fins, y sont entrés, le sucre aidant, et c'est ce produit
nouveau qui a éloigné le consommateur de nos grands vins,
qui pourront, eux, toujours se bien présenter et bien finir sans
l'emploi des procédés de Chaptal.
C'est ainsi que la Bourgogne pouvait porter, par ses mousseux, un rude
échec à la Champagne ; mais la spéculation a. introduit
les crus inférieurs dans la fabrication des mousseux, et les
mousseux ont été perdus pour la Bourgogne.
Enfin c’est dans les sels, les acides végétaux,
le sucre et le tannin existant dans le suc du raisin, que nous devons
chercher les seuls éléments de la conservation de nos
vins. En vendangeant plus tôt, en classant les cuvées,
en renonçant aux engrais azotés et au sucre, en modifiant
la culture, en apportant plus de soins à nos procédés
de cuvage et de vinification, on arrivera à une réforme
qui nous aura promptement ramené le consommateur ; mais si nous
persistions à vouloir SOUTENIR ET AMÉLIORER nos vins par
l'addition du sucre, toutes les autres réformes n'aboutiront
qu’a un résultat incomplet. Il restera à l'art,
dans un but de conservation, l'emploi de l'acide sulfureux ou du charbon
animal, qui agissent comme des oxydants (soufrage des vins) ; l'exposition
des vins au froid (congélation à un faible degré
des vins dans les hivers dont la température restera au dessous
de 10° cent.) ; enfin la soustraction de nos produits à la
chaleur des saisons, soit par leur séjour dans les caves fraîches,
soit, dans les expéditions, par leur isolement des corps plus
chauds, isolement qu'on peut obtenir par l’encaissement des futailles
au milieu des substances qui conduiront mal le calorique, telles que
la paille, la laine, le charbon pilé.
Dans cette question si grave de la santé et de la qualité
des vins, je ne crois pas à la chimie d'autre pouvoir que celui
de nous signaler la nature des causes, qui contribuent au mal, dans
le but de diriger dans une voie plus rationnelle nos méthodes
de culture et de vinification.
La science ne doit pas aller au delà, et jamais elle ne fabriquera
de toutes pièces ce que le soleil et le terrain auront refusé
à nos produits. En un mot, jamais Surennes et Argenteuil ne deviendront
les rivaux heureux de Volnay et de Chambertin.
Je terminerai enfin par ce fait, que les négociants qui ont le
moins cru aux effets tant vantés du sucre, et ont eu plus de
confiance, soit à des approvisionnements considérables
dans les années de qualité, soit à l'addition des
vins plus durs des arrière-côtes, soit à l'emploi
du tannin, emploi si répandu dans le Bordelais, soit au mélange
des vins gelés ou vins étrangers, plus acerbes que sucrés,
sont certainement ceux qui, dans ces dernières années,
ont essuyé le moins de reproches de la part de leurs clients.
En résumé, si les vins du Midi doivent leurs qualités
a la haute proportion de sucre et d'alcool qu'ils contiennent, les vins
de la Côte d'Or, comme les vins de Bordeaux, sont surtout riches
en tartrate acide de potasse et de fer et en tannin : c'est à
ces deux éléments qu'ils doivent leurs caractères
et en partie leurs principes de conservation, puisqu'en moyenne ils
ne donnent à la distillation que 12 p. 100 d'alcool. D'après
cette composition, ils sont d'un usage éminemment salutaire.
Toute addition de sucre faite à nos vins en change la nature
chimique, et contribue en outre à leur enlever le cachet de finesse
et de bouquet qui leur est particulier. Il est donc de la plus grande
importance de renoncer à son emploi, et on doit engager les négociants
et les propriétaires à concourir de tout leur pouvoir
à la réaction qui, depuis 1842, a commencé à
s'opérer dans notre vignoble contre les procédés
de vinification conseillés par Chaptal.
Opinion
de M. de Vergnette.
II
commence par rendre hommage aux profondes connaissances de M. Mollerat,
dont personne plus que lui n'admire les beaux travaux et les savantes
applications qu’il en a faites aux arts industriels ; mais il
pense que plus M. Mollerat est haut placé dans la science, plus
on doit combattre les conséquences qu’il a déduites
de ses belles théories. M. de Vergnette expose que la chimie,
dont les progrès nous permettent aujourd'hui l'analyse des substances
les plus compliquées dans leur composition, est encore sans moyen
de reconstituer par voie de synthèse les corps organiques dont
elle a isolé les éléments. Selon M. de Vergnette,
si le sucre de fécule, tel qu'on l'extrait des pommes de terre,
contient le même nombre d'équivalents que le sucre de raisin,
il y a dans ces deux corps une différence de disposition moléculaire
telle qu’ils ne peuvent être remplacés l'un par l'autre.
M. Mollerat, dans son savant exposé, a dit que c’était
la nature qui faisait le bouquet des vins, el qu'on ne l'imitait pas.
M. de Vergnette pense qu'on n'imitera pas davantage les autres principes
organiques qui sont contenus dans le raisin.
M. de Vergnette-Lamotte prétend que les vins chaptalisés,
étant très alcooliques, deviennent ou d'une consommation
plus restreinte, ou sont préjudiciables à la santé.
Le procédé enlève en outre au vin leur bouquet
et leur finesse.
L'excès de matière colorante dont on a chargé les
vins sucrés les rend d'une conduite difficile. Le système
Chaptal a encore eu pour conséquence le chauffage des caves,
Dans cette opération, pratiquée dans le début par
quelques négociants qui l'ont rejetée aujourd’hui,
M. de Vergnette, appelé à en étudier les effets,
a souvent constaté dans les étuves une température
qui dépassait 25° centigrades, et dans les tonneaux la formation
de petites quantités d'acide acétique. Enfin, dans le
mélange qui a été fréquemment fait des vins
procédés avec ceux qui ne l'étaient pas, il arrivait
qu’on mettait en présence des liquides qui contenaient
un reste de ferment sans trace de matières sucrées avec
des vins procédés contenant au contraire un excès
de sucre sans ferment. Le mélange obtenu renfermait dès
lors tous les éléments d'une fermentation nouvelle, et
cette manière d'opérer a très souvent conduit aux
plus tristes résultats.
Abordant la question de la santé des vins, que M. Mollerat pense
exclusivement soutenue par le sucre, M. de Vergnette expose que l'alcool
n'est pas le seul élément conservateur du vin. Les sels
acides, le tannin, etc., qu'il contient, concourent au même but
; et, comme leur solubilité dans un liquide varie en raison inverse
du degré alcoolique de ce liquide, il en résulte qu'on
élimine du produit chaptalisé certaines portions des autres
substances qui aident à la conservation du vin.
M. de Vergnette cite des vins, tels que les 1827, 1832, 1838, qui, quoique
peu alcooliques ( ils n'en contenaient pas 12 p. 100), étaient
de qualités remarquables, et furent doués de principes
suffisants de conservation pour avoir fait honneur au pays.
Revenant au but d'amélioration dont M. Mollerat a vanté
le résultat dans le système Chaptal, M. de Vergnette en
signale sous ce rapport les inconvénients. Selon lui, en primeur,
et même pendant la première année, il est impossible,
dans les vins procédés, de distinguer les cuvées
d'un ordre et d'un climat différents. Mais tôt ou tard
le consommateur s'aperçoit de l'erreur, et, comme il ne retrouve
plus dans le vin qui lui est livré les hautes qualités
du Bourgogne, il en abandonne l'usage.
M. de Vergnette pense donc que la science, qui, par l'analyse des substances
végétales, nous a éclairés sur l'alimentation
organique que demande la vigne, et qui a tant encore à nous apprendre
sur les phénomènes de la vinification, n'a point rendu
service à la Bourgogne par l’introduction d'un procédé
qui a pour effet de donner à un produit l'apparence des qualités
qu'il n'a pas, et aide puissamment à toutes les falsifications
que l'on opère sur les boissons fermentées. Si, par l’addition
du sucre à des raisins communs et verts, ou à des fruits
médiocres, si même, par un mélange d'eau, de ferment
et de sucre, on peut composer une liqueur fermentée, qui, bue
avec addition d'eau sera moins mauvaise qu'elle ne l'eût été
sans l’emploi du procédé, le consommateur qui achèterait
cette boisson avec connaissance de son origine et sous un nom de convention
qu’on devrait lui donner n'aurait point à se plaindre qu’il
a été trompé ; mais il n’en est pas de même
pour des vins de luxe, destinés à être consommés
sans addition d'eau, achetés pour grands vins, et dans lesquels
on recherche avant tout un cachet de finesse et de bouquet incompatible
avec l’emploi du sucre.
Messieurs, dit M. de Vergnette, je terminerai par cette conclusion,
qui, je l’espère, trouvera de l'écho dans cette
enceinte bourguignonne. Revenons à une appréciation plus
juste de la valeur des seconds crus et des vins des années médiocres.
Ces vins feront de grands ordinaires, dont les débouchés
seront assurés, et nous ne livrerons plus à la consommation,
comme vins de luxe, des vins chaptalisés, produit bâtard
qui discrédite nos grands crus, peut compromettre l’avenir
du pays, et va même jusqu’à nous entacher à
l’endroit de notre vieil honneur bourguignon.
Opinions
diverses.
M.
SAUZEY pense que, par l’emploi du sucre, les crus inférieurs
ont été appelés à faire une concurrence
sérieuse aux premiers crus, et que c'est à cette cause
qu'il faut attribuer la réclamation de quelques propriétaires
possesseurs des grands vins. Il soutient d’ailleurs que le sucre
dans le vin ne fait qu'améliorer, sans le rendre plus alcoolique.
M. LECLERC explique que, dans les vins procédés,
le sucre ajouté est transformé en alcool, et n'agit plus
sur l'organisme de la même manière que le sucre dont nous
assaisonnons nos fruits ou nos mets d'office.
M. le docteur BONNET déclare que l’abus
des vins alcooliques peut prédisposer aux affections du cerveau.
M. VAREMBEY soutient qu'avec le sucre on a donné
à des vins médiocres toutes les qualités des grands
vins, et que de plus on a obtenu des vins beaucoup plus solides. M.
Varembey nous explique comment, par les conseils de M. Mollerat, il
a, par un mélange convenable de lie, de sucre de fécule
et d'eau, obtenu des vins de Xerès remarquables, et qu'il a conservés
pendant 19 ans.
M. CHEVILLARD dit que le sucre n'a pas toujours assuré
la santé des vins ; il cite à l'appui de son opinion ce
fait capital, que les vins de 1840 que l'on a procédés
n'ont pas par là échappé à la maladie, qui,
du plus au moins, a frappé tous les vins de cette récolte.
M. DELARUE. Un des graves inconvénients d'employer
le sucre de fécule mal fait et tel qu'on le livre au commerce,
c'est qu'il contient 20 à 25 pour cent d'un principe qui n'est
pas saccharifié, et qui n'est plus de la fécule : C'est
à ce principe que ce sirop doit la saveur herbacée qui
le distingue. Ce défaut de saccharification le fait facilement
reconnaître du sucre de fécule bien fait : car ce dernier,
susceptible d'une cristallisation particulière, a une saveur
douce et fraîche, et même agréable.
M. MOLLERAT signale l'abus d'élever la température
à 25°. Il n'a jamais prescrit qu'une température modérée.
Tout en admettant une partie des conclusions de M. de Vergnette, il
s'attache à déclarer et à faire connaître
que tous les abus signalés ne proviennent que des excès
ou du mauvais emploi des procédés ; on n'en condamne l'usage
que parce qu'on ne sait pas le régler convenablement.
Je le répète, dit l'honorable membre, l'alcool ajouté
directement sépare Ie ferment ; le vin s'appauvrit. Il ne peut
qu'approuver l'addition du sucre faite dans de justes proportions ;
il condamne absolument l’emploi de l'alcool, et surtout de l'eau-de-vie,
qui, contenant une essence parfumée, altère la qualité
du vin, et plus spécialement son bouquet.
M. LECLERC demande s'il existe un moyen autre que celui
de la dégustation pour arriver à reconnaître l'emploi
du sucrage artificiel. Il pense que, si on arrivait à connaître
ce procédé, le consommateur saurait en tirer parti et
en reconnaîtrait les abus : car, s'il n'existe aucun moyen de
reconnaître l’emploi du sucre, il sera inutile de le proscrire
; on n'arrivera jamais à détruire cet abus.
Il demande si les vins procédés ne sont pas plus sujets
aux maladies que les vins naturels, et si la difficulté qu'ils
éprouvent à voyager ne tient pas au procédé
lui-même.
M. DELARUE pense que le seul moyen pour reconnaître
si un vin à été additionné de sucre ou d'alcool
est de distiller le vin, de le comparer sous divers points de vue à
un vin dont on connaît l'origine ; que pour cela il faudrait tous
les ans titrer les vins des grands crus. Leur richesse alcoolique étant
connue, tout vin qui dépasserait le titre d'un ou de deux degrés
serait déclaré vin additionné. Il renvoie, pour
plus amples informés, au tableau des analyses des vins qu'il
soumet à l'examen du Congrès.
Il pense aussi que la difficulté de voyager des vins de Bourgogne
tient plutôt au mélange des vins sucrés contenant
encore du sucre et plus de ferment avec des vins contenant encore du
ferment et ne contenant plus de sucre. L'agitation occasionnée
par le roulage met en contact le ferment en excès du vin naturel
et le sucre non converti en alcool de celui qui a reçu une trop
forte quantité.
M. GAULIN conclut, comme M. Leclerc, contre l'emploi
du sucre ; mais, s'il en proscrit l’emploi dans les grand vins,
il demande si le sucre ne devrait pas être employé dans
les vins de faible qualité. IJ est hors de doute que, dans de
mauvaises années, l'emploi du sucre présente des avantages
sous tous les rapports, avantages qui doivent entrer en considération
: car d'une boisson sans valeur, qui souvent peut être nuisible
à la santé, ne peut-on faire une boisson saine, bienfaisante
et acquérant une valeur vénale qui permet au producteur
de rentrer dans ses avances ?
M. DEMERMÉTY. Le procédé laisse
un goût particulier qui se reconnaît au palais ; il a expérimenté
qu'un vin gelé a laissé beaucoup de saveur, de vinosité,
mais point de bouquet.
M. POULET. M. Leclerc a semblé tout à
l'heure attribuer la cause du désastre des vins de Bourgogne
au commerce. Je proteste contre une pareille insinuation. Le commerce
seul n'a pas commis la faute ; il n'a pas exigé que le propriétaire
sucrât ses vins, mais le propriétaire a lui-même
aidé au système en sucrant ses vins pour les faire valoir
davantage.
M. LECLERC s'excuse sur le sens qu'on a pu donner à
ses paroles contre le commerce en général ; il pense que
l'entraînement a été causé par l’exemple,
et, s'il peut citer des faits dans lesquels le négociant a imposé
le procédé à certains propriétaires, il
n'en conclut rien contre le commerce en général.
M. GAULIN revient sur le sucrage, et réclame
une exception en faveur des vins ordinaires, qui prennent, par ce procédé,
un peu plus de qualité. Il résume son opinion en demandant
le maintien du sucrage en faveur du petit vin.
M. POULET demande que le principe soit général.
En admettant les exceptions, on ne pourra plus rien garantir. Par le
procédé, les vins ordinaires deviennent momentanément
des vins fins ; Il faut, avant tout, que les vins ordinaires restent
pour ce qu'ils sont.
M. CHEVILLARD passe sous silence la discussion chimique
; il veut seulement s'arrêter à quelques points.
Puisque MM. les chimistes, dit M. Chevillard, ont établi que
l'opération devait être faite par des hommes habiles et
avec beaucoup de précaution, j'en conclus qu'on ne peut confier
l’opération du sucrage à des mains vulgaires ; je
pense aussi qu'on doit renoncer à l’emploi du sucre dans
les vins communs, puisque le prix des vins sucrés ne serait plus
à la portée des classes pauvres.
M. DELARUE fait observer qu’il ne s'agit pas
d'être chimiste pour conduire l'opération du sucrage ;
que la plus simple observation suffit pour la conduire, et que la quantité
réelle de sucre ajoutée à un mauvais moût
qui ne peut produire qu'une boisson désagréable et souvent
malsaine, pour produire un liquide agréable et bienfaisant, n'en
élèvera jamais le prix de manière à en empêcher
la consommation.
M. SAUZEY pense qu'on ne doit pas condamner a priori
l'usage du sucre ; il cite les Grecs, les Romains, les Athéniens,
qui ajoutaient du miel dans toutes les amphores. Il faut que la science
vienne en aide à la nature ; il faut qu'elle arrive à
déterminer les justes proportions du sucre et de ferment. Arrivés
là, les chimistes auront gagné de nouveaux titres à
la reconnaissance publique. Il faut condamner les abus, les mauvaises
expériences ; mais il faut encourager toutes celles qui ont pour
but l'amélioration d'une production aussi intéressante
que celle de la vigne.
M. LECLERC répond à M. Sauzey que les
Grecs et les Romains, en introduisant du miel, des aromates, de l'encens,
de la myrrhe, dans les vins, agissaient sous l'influence d'un goût
particulier, et non pas pour leur donner une qualité que nous
recherchons généralement.
Il condamne l'usage introduit en Champagne de procéder les vins.
Ce pays a perdu de sa réputation en raison de cet usage. Il conclut
en conséquence contre l'exemple cité par M. Sauzey et
la comparaison qu'il a faite. Il rend hommage à la science ;
mais, jusqu'à ce qu'elle ait découvert le moyen de conserver
les vins, de les rendre exempts de maladies, il ne veut s'en tenir qu'aux
ressources de la nature.
M. POULET critique la comparaison qu’on a voulu
faire avec les vins de Champagne. Il cite l'usage de la liqueur introduite
dans le vin à différents degrés, le sucre employé
pour développer la mousse et entretenir le ferment : ce sont
des vins d’un type particulier ; il n'y a aucun inconvénient
à sucrer ces vins.
M. MOLLERAT partage l'opinion de M. Poulet. La liqueur,
dit-il, est indispensable dans le vin de Champagne ; il ne peut avoir
la mousse qu'à la condition de posséder de l'alcool en
suffisante quantité pour précipiter le ferment. En un
mot, le vin de Champagne est un vin spécial.
M. LECLERC combat vivement la méthode du sucrage.
Cette pratique, connue sous de mauvais rapports sur tous les points
d'approvisionnement, a discrédité les vins de Bourgogne
en France comme a l'étranger. Il applaudit hautement à
la décision prise hier par le Congrès ; il espère
que cette décision fera sortir la Bourgogne de l'état
de crise dans lequel le sucrage l'a plongée. C'est vainement,
dit-il, que la science se vante de faire du Xerès avec du sucre,
de l'eau et des poudres quelconques : il n'y a de Xerès possible,
comme de Vougeot possible, que celui qui se fait à Xerès
ou à Vougeot par les vignerons, Dieu aidant.
M. MOLLERAT répond à M. Leclerc par des
observations pratiques. Il fait ressortir d'une manière savante
les différences qui existent entre les vins sucrés de
la zone méridionale et les vins secs de la zone tempérée.
Il rappelle avec quelle facilité ou peut imiter les premiers,
et dit avoir bu de ces vins fabriqués qui ne laissent rien à
désirer ; mais il déclare que jamais jusque alors on n'a
pu imiter les vins de Bourgogne, et que le sucrage n'a. jamais eu pour
but d’en faire de toutes pièces, mais bien d'améliorer
sous tous les rapports des produits non seulement sans valeur, mais
qui souvent peuvent être nuisibles à la santé, ou
tout du moins un embarras pour le producteur. En somme, ce n'est pas
le sucrage des vins qui a perdu leur réputation, mais bien l'abus
qu'on en a fait. Seulement, dit en terminant ce savant chimiste, j'ai
recommandé l'usage du sucre pur et bien fait, et à dose
convenable, pour rétablir la densité normale du moût,
en l'employant avec des précautions convenables. Mais qu'a-t-on
fait ? On a sucré à tort et à travers, dans les
bonnes comme dans les mauvaises années, les mauvais vins pour
les rendre bons, et les bons pour les rendre meilleurs.
M. DE VERGNETTE. A tort ou à raison, le sucrage
a porté atteinte à la réputation de la Bourgogne
: c’est à ce procédé qu'on attribue les maladies
plus fréquentes de nos vins et la préférence accordée
à des produits avec lesquels ils marchaient de pair autrefois.
Le chauffage mal appliqué, toujours sans méthode, a détruit
tout cet échafaudage de perfectionnement, et de là nos
malheurs.
M. MOLLERAT. C'est encore un des inconvénients
de la pratique non raisonnée. Il ne faut pas dire que le chauffage
a perdu nos vins, mais dire au contraire que la faute tout entière
doit être attribuée à la manière irrationnelle
dont il a été appliqué, et en général
au peu de soins qu'on a mis à conduire toutes ces opérations.
M. POULET-DENUIS reconnaît qu'on a fait abus
du sucrage et du chauffage : c'est donc dans l'intérêt
de la Cote d’Or qu’on doit en bannir la pratique et appeler
une réaction complète.
M. SAUZEY ne partage pas l’opinion des adversaires
absolus du sucrage. Nos vins du Beaujolais, souvent de mauvaise qualité,
ne trouvaient de consommateurs que dans la localité ; mais, depuis
l’emploi du sucre, ils concourent avec avantage à l'approvisionnement
de Lyon. Je ne suis pas contre l'emploi du sucre, mais contre les abus
que son usage a pu introduire.
M. LECLERC regarde comme une véritable falsification
l'emploi, l'addition, l'introduction dans le vin, de toutes substances
étrangères.
M. POULET-DENUIS fait remarquer que, dans la discussion
qui s'est engagée de nouveau sur une question déjà
résolue, on n'a pas répondu aux objections précises
qu'il a formulées à la séance précédente
; que la question n'était pas de savoir si, ainsi qu'on l'avait
dit, le sucrage des vins était fait avec plus ou moins de discernement,
et si les vins d'un ordre inférieur étaient améliorés
par ce procédé ;
Que l'usage de sucrer les vins était depuis assez longtemps pratiqué
pour admettre que tout le monde était également apte à
le faire dans les meilleures conditions ; qu'il ne contestait pas que
des vins qui n’étaient pas bons puissent être améliorés
par l’emploi du sucre, mais que, tout en admettant ce résultat,
son opinion en était d'autant plus fortifiée contre le
système de sucrer les vins, et qu'il y puisait un argument qui
lui paraissait sans réplique : car enfin, a-t-il dit, tout le
monde est d'accord sur ce point, qui n'est au reste pas contestable,
à savoir, que si, pour les bons vins et dans les bonnes années,
toute addition de sucre les dénature et leur est contraire, dans
quel but chercherait-on à améliorer des vins, soit d'une
mauvaise année, soit d'une qualité inférieure,
si ce n'est pour les replacer dans un ordre qui ne leur appartient pas
?
Si la Bourgogne veut conserver le rang élevé qui lui a
été départi par la nature de son climat, l'excellence
de ses produits, il faut qu’elle s'efforce de conserver, de maintenir
ses meilleurs types dans chacun de ses incomparables climats.