Introduction

Historique du sucrage

Justification du sucrage

Principes à suivre pour pratiquer le sucrage

PIÈCES RELATIVES AU SUCRAGE. PIECE A. Expériences et opinion de Macquer sur le Sucrage

PIÈCES B. – Opinions émises au Congrès des vignerons de Dijon sur le sucrage des vins.

SUCRAGE
DES VENDANGES
AVEC LES SUCRES RAFFINÉS
DE CANNE, DE BETTERAVE, ETC.

Historique du Sucrage.

Le sucrage des vins, considéré comme moyen de suppléer au défaut de maturité des vendanges, n'est pas un procédé nouveau. Les anciens le pratiquaient en concentrant une partie de la vendange ou bien en y ajoutant la seule matière sucrée dont ils disposaient : le miel.
Le sucrage par concentration d'une partie plus ou moins grande de la vendange pour corriger la pauvreté des moûts en sucre a été pratiqué par les peuples modernes, et surtout, au dire de Fabroni, en Espagne, en Grèce et en Hongrie.
C'est cette méthode qu'un œnologue français, Maupin, préconisa vers la fin du siècle dernier comme moyen d'améliorer la qualité des vins. Maupin, qui publia plusieurs brochures sur la viticulture et la fabrication des vins, a signalé un grand nombre d'expériences qui établissent d'une manière nette l'utilité du sucrage et l’amélioration grande qu'il introduit dans les qualités des vins.
Le sucrage ainsi pratiqué sur des vendanges dont la qualité est médiocre, soit par vice de cépage, de sol, de culture, ou de maturité, rien qui répugne à l'esprit, car il consiste en réalité dans l'élimination d'une partie de l'eau du raisin qui, étant trop aqueux, ne réunissait pas, en proportions convenables, les éléments utiles pour faire un vin de garde. En procédant ainsi on améliore la qualité au détriment de la quantité, et à l'aide d'une manœuvre qui exige une dépense d'appareils, de main-d'œuvre et de combustible. Il y a plus : c'est que, si le rapport des éléments n'est pas favorable à la meilleure qualité des vins, il est conservé intégralement.
Si l'on considère que les vendanges médiocres pèchent surtout par l'insuffisance de l'élément sucre, on comprendra le succès qu'a obtenu la proposition d'ajouter de préférence à la vendange une matière sucrée prise à une source étrangère à la vigne, comme l'était le miel chez les anciens.
Cette méthode cependant, en ce qui concerne le miel, offrait des inconvénients qui n'ont pas échappé aux observateurs. En effet, les vins ainsi édulcorés contractent la saveur caractéristique du miel, et ils perdent ainsi, pour les consommateurs habitués au goût des vins de raisin pur, leur valeur en usage.
L'utilité de l'addition des moscouades de canne à la vendange pouvait facilement se déduire des pratiques des anciens, qui étaient fondées sur l'addition de moût concentré ou de miel. Cependant il ne paraît pas que l'idée de cette pratique remonte au delà du milieu du dernier siècle. Les premières expériences de ce genre sont dues à Rouelle et à Baumé, qui les ont faites à l'occasion de recherches sur la fermentation alcoolique.
Vers 1776 ou 1777, époque où Maupin s'occupait lui-même d'améliorations analogues, fondées surtout sur l'emploi des vendanges concentrées, Macquer signalait quelques expériences curieuses dans lesquelles il avait pu produire des vins de bonne qualité avec des raisins verts, ou même avec du verjus, additionnés de moscouades de canne. (Pièce A publiée à la suite de cette brochure.)
Bullion et l'abbé Rozier s'occupaient à la même époque d'expériences de même genre, et constataient les mêmes résultats. Seulement Bullion se servait de sucre qu'il additionnait à la dose de 20 livres de moscouades par muid de vin, et Rozier recommandait le miel dans la proportion de un deux-centième du poids du moût, et il arrivait avec ce dosage, introduit dans la question économique, à prouver que la plus-value du vin édulcoré payait avec usure la dépense en matière sucrée.
Vers 1800, dans un excellent travail sur la vigne et les vins, publié dans les Annales de chimie (t. 35 et 36), le comte Chaptal reproduisait, avec l'autorité qu'il possédait déjà en matière industrielle, les doctrines de Macquer et autres sur l'utilité du sucrage, et en insistant particulièrement sur le sucrage avec les moscouades de canne, il prenait la méthode sous son patronnage. De là, sans doute, l'origine du nom donné à cette méthode par les industriels qui l'ont pratiquée dans le cours de ce siècle [Note Dubrunfaut On désigne en effet le sucrage sous le nom de procédé Chaptal, d'où l'on a dérivé le verbe chaptaliser pour désigner le sucrage des vendanges, pratiqué par un moyen quelconque.],
La haute position sociale et politique occupée depuis par le chimiste Chaptal n'a pas peu contribué, sans doute, à donner au sucrage qu'il recommandait une valeur plus grande, et à le faire pénétrer dans la pratique sous l'égide d'un nom justement vénéré.
Chaptal, nous insistons à dessein sur ce fait, a surtout recommandé le sucrage avec les moscouades de canne, en 1800, et c'est ce sucrage qui seul a été encore préconisé dans son traité De l'art de faire le vin, publié en 1819

[Note Dubrunfaut Cependant dans son travail de 1800, inséré aux Annales de chimie, on pourrait, faute de guillemets, lui attribuer le paragraphe suivant, qui appartient à Macquer.

» Ces expériences me paraissent prouver avec évidence que le
» meilleur moyen de remédier au défaut de maturité des raisins
» est de suivre ce que la nature nous indique, c'est-à-dire d'intro-
» duire dans le moût la quantité de principe sucré nécessaire
» qu'elle n'a pu leur donner. Ce moyen est d'autant plus pratica-
» ble, que non seulement le sucre, mais encore le miel, la mé-
» lasse, et toute autre matière saccharine d'un moindre prix, pour-
» ront produire le même effet, pourvu qu'ils n'aient pas de saveur
» accessoire désagréable, qui ne puisse être détruite par une bonne
« fermentation. »
].


Dans ce dernier traité, Chaptal, après avoir décrit le sucrage, s'exprime ainsi :

« Comme le sucre de canne est très répandu, c'est
» celui qu'on emploie pour améliorer la fermentation ;
» mais il serait économique d'extraire le sucre du rai-
» sin, dans les années d'abondance et de parfaite matu-
» rité, pour le faire servir à cet usage. J'inviterai les
» populations du Midi à reprendre cette intéressante
» fabrication pour pouvoir fournir aux besoins. »


Evidemment Chaptal désignait là les sirops de raisin, qui, sous l'Empire, avaient déjà été l'objet de grandes fabrications, et alors même qu'il eût désigné le sucre concret de raisin, ce produit n'eût pas offert dans le sucrage des vendanges les inconvénients du sirop de fécule.
Vers le commencement du siècle, un chimiste industriel justement célèbre, M. Mollerat, en s'occupant des moyens de pratiquer économiquement le sucrage des vins, songea à se servir de la découverte de Kirchoff comme base de cette application. Kirchoff avait démontré, en effet, que l'amidon ou la fécule de pommes de terre, traités par l'acide sulfurique, dans certaines conditions étaient transformés en matière sucrée ; il avait démontre, en outre, que cette matière sucrée pouvait fournir des agglomérations cristallines, qui ne se distinguaient en aucune manière de celles qui sont produites par les raisins secs ou par les sirops de raisin concrètes. De là le nom de sucre de raisin donné à cette espèce de sucre.
Mollerat, quoique doué d'une grande sagacité et d'un esprit observateur, qui sont souvent le point de départ d'utiles découvertes, accepta sans examen l'identité admise par la science entre le sucre concret de fécule et le même sucre fourni par les raisins.
Vivement préoccupé de l'application du sucrage aux vendanges, il étudia la fabrication pratique du sirop de fécule, créa cette fabrication sur une grande échelle, au centre des vignobles de la Bourgogne, et, persuadé avec juste raison que l'introduction dans les vendanges d'un corps identique avec celui que la nature y dépose dans les bonnes années ne pourrait altérer la qualité des vins, il recommanda son nouveau produit aux vignerons bourguignons, à l'exclusion du sucre de canne, qui dans l'état normal différait évidemment, par sa nature et ses propriétés, du sucre de raisin.

Ces raisons, colorées d'un vernis scientifique, jointes sans doute à la différence de prix qu'offraient les sucres de canne et les sucres de fécule, firent prévaloir les efforts de M. Mollerat, et amenèrent la consommation en Bourgogne d'une quantité assez considérable non pas de sucre de fécule, mais bien de sirops de fécule bruts, tels qu'ils résultent de la concentration des moûts fournis par la réaction de l'acide sulfurique sur la fécule.
Cette méthode de sucrage économique des vendanges a surtout acquis quelque importance en Bourgogne de 1825 à 1845, et elle avait même déjà pénétré par imitation dans d'autres vignobles, et notamment en Champagne et dans le Bordelais.
Notons aussi que le sucrage des vins, recommandé d'abord pour des vendanges de raisins dépourvus de maturité, avait produit sur ces vendanges des résultats tellement satisfaisants, qu'on avait cru pouvoir en étendre le bénéfice: à toutes espèces de vendanges, et même à celles qui servent de base aux vins nobles.
Vers 1845, des plaintes vives surgirent de divers points, de la France et de l'étranger contre les vins produits par la Bourgogne. Un changement notable s'était révélé dans les propriétés physiques de ces vins. Une saveur nouvelle venait déranger les habitudes des consommateurs. Les modifications produites par l'âge se présentaient sous des formes nouvelles. Souvent ils étaient altérés dans leurs propriétés essentielles, c'est-à-dire dans les modifications qu'ils subissent pendant la garde.
Le congrès des vignerons, réuni pour sa quatrième session, à Dijon, en 1845, composé d'hommes éminents dans les sciences, l'industrie et le commerce, eut à s'émouvoir des faits que nous venons de rapporter; il eut à en rechercher les causes, et, dans sa sollicitude pour l'industrie spéciale objet de ses travaux, il crut trouver la justification des plaintes des consommateurs dans le sucrage des vendanges et dans l'emploi des engrais.
Plusieurs séances des membres du congrès furent consacrées à entendre les défenseurs et les détracteurs du sucrage. (Pièces B.)
Parmi les premiers se trouvèrent MM. Mollerat, de Varembey, Gaulin, Sauzey et Delarue ; sur l'autre bord se trouvèrent réunis MM. Vergnette-Lamotte, Poulet-Denuys, L. Leclerc, le docteur Bonnet, Chevillard et Demermety. M. Guillory, président de la section, ne prit point part à la discussion.
A la suite de cette discussion, le congrès a pris en considération l'art. 4 des conclusions adoptées par le comité des négociants et propriétaires de l'arrondissement de Beaune, relatif à l'emploi du sucre, et a décrété l'abandon du sucrage.
Cet art. 4 était ainsi libellé :

« Art. 4. — Que le système de sucrage des vins de
» Chaptal, préconisé depuis long-temps, assez géné-
» ralement adopté, et contre lequel une réaction s'est
» opérée depuis quelques années, devrait être com-
» plétement abandonné comme étant funeste à la Bour-
» gogne ; qu'en effet, on ne saurait contester que le
» sucre les dénature, qu'il leur enlève ce qu'ils ont de
» plus précieux, leur incomparable bouquet et cette
» délicatesse qui est leur véritable cachet; qu'il les
» charge de parties alcooliques, ce qui les rend plus
» vineux, plus échauffants, et en fait restreindre et
» abandonner l'usage; tandis qu'il est certain que les
» vins de Bourgogne faits comme autrefois ne contien-
» nent pas plus d'alcool que les vins de Bordeaux, avec
» lesquels ils peuvent lutter pour la solidité; qu'un in-
» convénient plus grave encore résulte du sucrage :
» c'est l'impossibilité de distinguer, en primeur et mê-
» me pendant la première année, des cuves d'un ordre
» et d'un climat différents.
»

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